Après avoir arpenté les couloirs de Canal à coup de mouton déglingué et de World Company, Benoît Delépine et Gustave Kervern se sont lancés dans le cinéma, mettant en avant les petits gens qu'on évoque finalement peu en dehors de drames sociaux particulièrement tristes ou violents. Avec le duo, on ne rigole pas d'eux, on rit avec eux et c'est peut-être pour cela que leurs films sont si intéressants, aussi inégaux peuvent-ils être par moments.
Il en est de même pour Effacer l'historique, film réécrit moult fois en fonction de l'actualité. Au départ, le personnage principal devait être une sorte de gilet jaune avant l'heure, ce qui a évidemment dû être changé avec l'explosion du mouvement. On est passé d'un à trois personnages principaux et le film se déroule deux ans après l'arrivée des gilets sur les Champs Elysées.
Une certaine amertume se lit dans les visages des trois protagonistes qui ne se connaissaient pas avant de faire les ronds-points et de s'apercevoir qu'ils sont en fait voisins. Chacun est relié à des problèmes liés à la communication à distance et plus généralement les lois du web. Blanche Gardin est prise dans la spirale de la sex tape, tout en ayant des difficultés à communiquer avec sa banque (les fameux services où vous devez attendre et exploser votre forfait téléphonique).
Denis Podalydès a peut-être le rôle le plus cradingue, rejouant une scène de Mary à tout prix (les Farrelly, 1998) à sa manière et cumulant tous les problèmes (fille harcelée sur le net, endettements suite à des appels téléphoniques, amour pour une opératrice auquel il dit oui à tout). Quant à Corinne Masiero, elle a le personnage le moins intéressant, conductrice type Uber dont les notations ne décollent pas au dessus de une étoile.
Par leurs personnages, le duo de réalisateurs montre un rapport à la communication désastreux où ce que vous faites ne vous appartient pas, où votre réputation peut être détruite en quelques clics par des gens mal-intentionnés, où les démarcheurs ont des méthodes peu scrupuleuses pour vous donner envie de dire oui (le passage à la Réunion est sublime) et où l'administration ne vous aidera jamais. Contrairement à d'habitude où leurs films ont tendance à s'essouffler sur la fin, ici le film a plutôt du mal à démarrer, peinant à tisser des liens évidents entre les personnages.
Mais comme un bon vieux diesel, une fois lancé il part au galop dans une seconde partie plus intéressante et jouissive. D'autant que l'on comprend un peu mieux la personnalité des personnages au fil du film, gens au départ un peu flous mais dont la sincérité est indéniable. Gardin et Podalydès mangent tout sur leur passage, là où Masiero sort tant bien que mal de son personnage forgé depuis le Capitaine Marleau.
Effacer l'historique est un film drôle, tendre et indéniablement intelligent bien que les réalisateurs jouent toujours habillement sur l'absurde.