Miroir cinématographique: entre autoportrait et biographie

Peter, tu n'as pas seulement fait un beau film, mais surtout un grand film. Ta caméra est comme un pinceau grattant une toile, une plume noircissant une page, le fil d'une mémoire tissant un souvenir... Tu parviens à accomplir l'exploit de parler d'un autre (et pas de n'importe qui!) pour mieux parler de toi, subtilement. Le film est un miroir tendu où se reflètent deux visages, le tien, Watkins et celui de Munch. Le reflet du dernier te renvoie le tien avec une netteté non dénuée de tristesse. Tu laisses le spectateur du côté du Munch, mais il nous suffit de peu pour discerner l'autre côté du miroir, et comprendre.

Capter l'autre pour mieux capter sa nature d'artiste sans jamais compromettre l'essence de celui dont on parle est un tour de force des plus fascinants. Du 7e art dans toute sa splendeur, oserais-je dire sans détour. Edvard Munch ou la rencontre de l'autoportrait et de la biographie pour dessiner un véritable et surtout inoubliable miroir cinématographique.

Et puis, cette osmose entre l'approche formelle et le sujet en fait une œuvre des plus percutantes : À l'instar de Munch et sa tendance à user de tous les outils et méthodes possibles en peinture, Peter, tu n'hésites pas à recourir à des formes audiovisuelles multiples allant jusqu'à monter et mixer ton film comme Munch écrivait son journal : "au style extrêmement complexe et fragmenté. Il passait, dans la même phrase, du passé au présent, et de l'usage de la première personne à celui du nom qu'il se donnait." Et cet amour déçu qui forge l'esprit du jeune peintre et alimente son œuvre. La vie et l'art dansent ensemble sous nos yeux, nos yeux qui rencontrent parfois trop souvent ceux des personnages (personnes ?), mais peu importe pourvu qu'il y ait cette danse de la vie, une danse de la mort, aussi. Et près de l'art, tu n'hésites pas évoquer son bien triste compagnon aliéné: la critique. Cette critique bloquant le progrès, l'émancipation, la croissance. L'art contre l'incompréhension, l'art contre tous, ou presque. Alors peu importe les imperfections de ton film et ces choses qui agacent, ce qui suinte des images, c'est tout simplement l'art.

Peter, tu interroges l'art et la vie comme Tarkovski le faisait dans le majestueux Andrei Rublev. Même si inférieur, Peter, tu mérites la même reconnaissance que lui avec ton film, tu mérites de sortir de l'oubli pour que l'encre de ton œuvre tache de façon indélébile la grande fresque du cinéma. Mon visionnage du film remonte à plusieurs semaines et pourtant... Je le sens encore vivre en moi. Comme une hypnose persistante. La trace du génie, probablement.
Templar
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le 26 avr. 2012

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