La crise de la quarantaine n’est pas toujours facile à négocier, entre les rêves et les aspirations que l’on a dû laisser derrière soit pour mener une carrière et subvenir aux besoins de son foyer. Certains hommes se lassent de leur situation et de leur confort, préférant tout abandonner pour assumer leur homosexualité ou leurs désirs les plus refoulés. Edmond Burke en est le parfait exemple, complètement lobotomisé par un quotidien devenu banal qui ne le fait plus bander. Alors quant une diseuse d’aventure lui dit qu’il n’est plus à sa place, il se met soudainement à douter et quitte sa femme sur un coup de tête. L’homme marié a le sentiment d’avoir perdu sa virilité en s’étant plié au conformisme de la société occidentale, pour ainsi dire « caucasienne », à l’inverse de l’homme noir pour lequel il éprouve une étrange fascination car selon lui, le nègre est libre de ses agissements, libéré de toute contraintes et pression sociales, comme à l’état d’animal, d’où sa propension à jouer des coudes pour exister ou à tomber dans la criminalité. Alors sous les conseils mal avisés d’un inconnu rencontré dans un bar, Edmond va tenter d’adopter la même perception en s’enfonçant dans un monde dont il ne maîtrise pas les règles et coutumes, celui des maquereaux, dealers, prostitués et des escrocs à la petite semelle.

Précédé d’une carrière dévolue aux adaptations lovecraftienne et à la science-fiction, Stuart Gordon a surpris beaucoup de monde en investissant le monde du thriller avec King of the Ants. Pourtant Edmond constitue comme un retour aux sources pour lui. En effet, le cinéaste a débuté dans le théâtre grand guignol en fondant l’Organic Theatre Company de Chicago et l’une de ses premières pièces fût écrite par David Mamet qui se lança lui aussi dans le cinéma. Edmond c’est donc l’adaptation de l’une de ses pièces, dépeignant le dérapage et le suicide social d’un quadragénaire frustrée par sa condition qu’il va totalement remettre en question le temps d’une nuit de débauche et d’excès afin de combler ses déviances inassouvies sans aucun espoir de retour possible. A l’instar d’After Hours de Martin Scorsese, le film s’apparente à une descente aux enfers où rien ne sera épargné à son principal interprète qui tentera de s’imposer au mépris du code de la rue. L’homme blanc et civilisé qu’il représente a peur de se faire arnaquer, refusant obstinément de se soumettre au protocole des clubs de prostitutions privés quant les aguicheuses touchent à son porte-monnaie. Du coup, en bon homme d’affaire, il tente de négocier, au point de lasser continuellement ses interlocutrices et de se faire envoyer promener, car la question de l’argent revient à tout bout de champs. Dans sa première tentative de se plier aux règles et conventions, il se fera détrousser comme un nigaud par deux escrocs à un jeu de carte, avant de protester et de se faire dérouiller. Puis il va se heurter à l’indifférence d’un veilleur de nuit qui refusera de l’aider à contacter sa banque pour débloquer la situation. Tout le film est ainsi parcouru par un sentiment de misanthropie qui va dès lors aborder un virage à 90 degrés. Et si Edmond ne peut pas se payer du bon temps, il mettra son alliance en gage ; ultime symbole qui le relie à son ancienne vie ; pour s’acheter un couteau afin de reprendre le contrôle de sa virilité et d’exprimer son mal être existentiel.


A l’instar de son précédent long-métrage le cinéaste troque l’horreur cosmique pour le polar névrotique et tente de nous renvoyer à nos propres choix et erreurs en interrogeant la notion de libre-arbitre à travers l’évolution de son personnage qui sera en définitive le seul responsable de chacune de ses décisions qui le précipiteront dans sa marginalisation. La mise en scène un peu plate et monotone en début de parcours reflète parfaitement l’état d’esprit d’Edmond avant son enfoncement progressif dans la folie et donc dans un univers plus onirique éclairés aux néons, constitué d’une faune interlope mêlant anges et démons qui vont quelque part pervertir sa vision et le conforter dans son état de démence. Comme à son habitude, Gordon fait preuve de beaucoup d’humour noir tout au long des déboires que va connaître son principal interprète. Tout le film repose d’ailleurs sur les frêles épaules de William Macy qui campe un être esseulé, socialement inadapté, raciste et homophobe et qui va continuellement payer pour apprendre et finalement embrasser un destin ô combien ironique après avoir laissé libre cours à ses pulsions dans un état de confusion autodestructeur le délivrant certes d’une vie dont il se sentait prisonnier, mais en contrepartie de sa liberté. Toute peur cache un souhait ou un fantasme inavoué.

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le 24 avr. 2024

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