Quiconque a déjà pénétré dans l’univers onirique de Lucile Hadzihalilovic sait peu ou prou à quoi s’attendre en allant voir Earwig : une atmosphère entêtante, une trame narrative dégraissée jusqu'à l’os et, surtout, une nouvelle histoire d’enfance tourmentée. Dans cet opus, l’enfant, c’est Mia, une jeune fille silencieuse dont les dents finissent toujours par tomber, symbole d’une innocence totale, absolue, inaccessible au monde adulte. La fillette évolue dans un étrange institut, sorte de fusion improbable entre une académie des beaux-arts et un cabinet médical. Là-bas, un homme, Albert, veille sur elle et sur son hygiène dentaire. Est-il un père, un tuteur, un geôlier ? Nous n’en saurons pas plus.



Plutôt qu’une histoire, la cinéaste déploie un mystère. La rigueur sévère des cadres, la lumière vespérale qui glisse dans chaque salle de la bâtisse, la lenteur et l’étrangeté des interactions humaines : tout contribue à plonger le spectateur dans un univers unique, une spirale insondable qui engloutit lentement tous ses repères. Le travail sur le son notamment - le plancher gémissant à chaque pas, le bruit soutenu des dents qui claquent, le tintement mélodieux d’un verre qu’on caresse - soulève un indicible malaise. Il y a quelque chose de menaçant dans Earwig, comme si cette sombre histoire d’apprentissage réveillait d’étranges traumatismes pour le personnage d’Albert. Car c’est bien avec son esprit tourmenté que résonne la mise en scène, offrant des détours tantôt nostalgiques, tantôt gores. Au milieu de son dédale mental, beaucoup de lubies inexplicables, mais surtout, une obsédante peinture qui semble changer soir après soir.



Même après sa conclusion, Earwig demeure une énigme. Les spectateurs avides de réponses seront peut-être frustrés. Les autres auront vécu une expérience angoissante, insaisissable, bercés par les flots d’une mélancolie macabre qui n’appartient qu’à sa réalisatrice.


Julien Del Percio

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le 30 juin 2023

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