Un scénario palpitant et, soudain, le film dévisse

un film allemand retraçant des événements historiques, sportifs, dans les années 30 sur fond de course à la suprématie raciale et de critique des médias servant les intérêts étatiques, voilà qui mérite qu'on s'y attarde. D'une parce que les productions germanophones ne nous parviennent que rarement si l'on excepte le cortège de documentaires présents sur ARTE et les éternelles séries policières, d'autre part parce que les derniers retours de ce cinéma étaient particulièrement intéressants, que ce soit sur le plan strictement esthétique comme The Dark Valley (2014) ou pour son traitement des sujets de société sensibles comme Le Labyrinthe du silence (2014), Elser un héro ordinaire (2014) ou bien encore l'enfant de Buchenwald (2015). Certes ce Duel au sommet (Nordwand) commence à dater puisqu'il remonte à 2008.


Le cinéma allemand dans son regard sur la tragédie nazie à pour intérêt d'être dénué de la culpabilité des générations précédentes ayant fait osciller les auteurs entre malaise et flagellation. Seulement, un bon casting et un excellent sujet ne font pas toujours un bon film, et ce Duel au sommet souffre de la comparaison avec le bien plus enlevé Everest (2015) malgré des acteurs parfois très convaincants (Toni Kurtz est excellemment interprété par une vraie gueule de cinéma, Benno Fürmann).


Le Synopsis avait pourtant de quoi plaire, à savoir la tentative tragique d'ascension en 1936 de la face nord du mont Eiger, une légende suisse des sommets suisses, réputé infranchissable et meurtrier. En cette décennie où les voies ouvertes se succèdent, abattant un par un les derniers remparts alpins, cette course à la hauteur à la veille de jeux olympiques polémiques et voulus grandioses par une Allemagne nazie en pleine euphorie conquérante prend des allures de manifestation de la force aryenne et décomplexée. Alors que se profile l'Anschluss autrichien, une cordée allemande et une cordée autrichienne vont tenter d'atteindre le sommet en tête, faisant fi des concurrents italiens et français, anecdotiques. Pour les médias il se joue une partie d'échecs politiques, pour les alpinistes, c'est une question de survie.


La traitement du film fait perdre à son sujet toute sa pertinence. Caricatural, ce métrage l'est assurément, avec son lot de personnages clichés. Le concurrent, forcément un sale type ou un lâche. L'étranger, on en fait peu de cas, au mieux c'est un faire valoir, au pire un fainéant. Le patron de média est forcément un homme coureur de jupon, à l'ancienne, bourru, manichéen, d'une frivolité coupable.  Son assistante, une débutante est pure, idéaliste. Tout dans son approche est à jeter, rendant cet exercice antipathique au possible, ce que ses qualité graphiques ne relèvent pas puisqu'un film comme Everest a définitivement posé de nouvelles références en matière de représentation de la montagne, ses dangers, sa grandeur.


Pour un film qui se veut anti-nazi, le traitement de cet aspect est tiède, peu tranchant, pas toujours évident. Surtout quand on se moque des cordées italiennes et françaises, celles là même qui, précisément, surtout pour les français, venaient de vaincre deux des trois grandes dernières difficultés alpines, dont les Grandes Jorasses, franchies par la face nord en 1935. Ce que les alpinistes allemands et autrichiens ne pouvaient ignorer et encore moins ne pas respecter. On se moque de leur matériel, or les français étaient connus pour le fabriquer par eux mêmes, sur mesure, comme la cordée allemande dans ce film et ce sont ces détails qui ont fait progresser ce sport et permis les exploits. Le regard sur la cordée autrichienne est hallucinant de mépris, ce qui choque quand on sait que Willy Angerer est interprété par un autrichien, l'acteur Simon Schwarz. Et finalement, ces deux cordées étrangères qui refusent de monter l'Eiger alors que se manifestent des intempéries mortelles, finissent par paraître plus réfléchies que les deux cordées reines du film qui donnent l'impression de partir à l'aventure, à la hussarde (alors qu'en vérité, les problèmes d'équipements n'étaient pas), comme partant au sacrifice, car cette histoire est bien celle d'un sacrifice photographié, épié, pour étancher la soif des foules abruties.


Enfin l'histoire même de cette tragédie est trahie par la volonté de placer une éternelle et très dispensable histoire d'amour, ajoutant de la mièvrerie à un film déjà bien cabossé. Une amourette qui en vient à découper étrangement ce film alternant entre scènes d'ascension et scènes concernant le public assistant à celle ci, mais de façon si hachée que l'on perd toute tension. On aimerait que la caméra suive les alpinistes qui se débattent avec la mort et non les plots les suivant devant la terrasse d'un hôtel-chalet. Si l'on y ajoute, en VF seulement je l'espère, car je n'ai pu accéder à la VO, la suppression de la célébrissime phrase que dit Toni Kurtz à ses sauveteurs malheureux avant de se laisser mourir, si l'on compte sur le travestissement de la réalité avec une mise en scène pathos de la mort de son binôme et globalement les erreurs historiques émaillant le récit (Angerer n'a jamais été blessé par Andreas Hinterstoisser mais par une chute de pierres dans le 2eme névé du à la fonte d'un pan de neige) , on finit ce film sur un épilogue totalement inepte traduisant bien le naufrage : Le réalisateur n'avait pas grand chose à faire de ses héros puisque le personnage de Luise Fellner qui ouvre et ferme le film, est une pure invention!


Tout ce qui sauve le film, c'est cette montagne, ce paysage, le froid, ce réalisme physique, bien retranscrit, il est dommage qu'un si bel écrin n'ait pas mieux servi l'histoire et le cinéma européen, dans un film se voulant ouvert et universaliste, et qui finit par paraitre pan-germanique et vaguement xénophobe.

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le 9 mai 2016

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