Pré-scriptum : les (bonnes) critiques sur ce film ne manquent pas ici, mais j'avais écrit ça au moment de sa sortie, aux prémices de l'engouement général. Le film n'a plus besoin de pub aujourd'hui, c'est évident.


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Drive est un film américain réalisé par le danois Nicolas Winding Refn, d'après le roman noir de James Sallis. « The driver » est un conducteur talentueux, le jour comme cascadeur à Hollywood, et la nuit comme chauffeur pour des truands quelconques. Sa ligne de conduite est à la fois simple et efficace : il se donne cinq minutes montre en main pour semer les flics, mais ne prend jamais part aux crimes de ses employeurs autrement qu'en conduisant. Malgré tout, un début de relation amoureuse naît entre lui et Irene, sa voisine de palier ; il va alors se retrouver au cœur d'une sombre histoire de gros sous, après avoir aidé le mari d'Irene tout juste sorti de prison. S'ensuit une lente descente aux enfers dont personne ne sortira indemne, pas même le spectateur.


La première demi-heure de Drive est trompeuse, à l'image du trailer et de cette personne aux États-Unis qui a porté plainte (1) pour bande-annonce mensongère (elle pensait se délecter d'un énième Fast and Furious ou Transporteur, on imagine bien sa déception). On est surpris par la première séquence du film, avec une mise en scène ultra stylisée et une course-poursuite aux antipodes du classique du genre : en lieu et place de la poursuite en voiture haletante à la Death Proof de Quentin Tarantino, Nicolas Winding Refn joue la carte de la subtilité. Plutôt que de foncer tête baissée dans les rues de Los Angeles — comme on s'y attend tous —, Ryan Gosling reste serein, se range sur le bas-côté tous feux éteints, pour ensuite se cacher sous un abri opportun avant de s'engouffrer à tombeau ouvert dans les sombres ruelles de la ville. Les scènes de courses-poursuites, presque entièrement filmées depuis l'habitacle, ne servent que de ponctuation. Petit à petit, on réalise que la retenue qui semblait caractériser le driver n'est qu'un leurre...


Le film foisonne de clins d’œil : la musique de Cliff Martinez (on lui doit la bande originale très prenante du Solaris de Steven Soderbergh, remake pas mauvais du film d'Andreï Tarkovski) très eighties mais qui colle plutôt bien au film, la police rose bonbon très pop-art du générique, la relation amoureuse sincère et expédiée assez précocement, le masque que revêt le cascadeur rappelant le visage de Vin Diesel, le passage en voiture dans le décor de Terminator 2, etc. On n'en finit pas !
Mais Drive dépasse largement le simple statut de film à références (cher à Tarantino, soit dit en passant) : il ne se cantonne pas à l'action brute d'un bon film comme Heat, de Michael Mann ; il ne se limite pas au tragique lynchéen du couple que forment Sailor et Lula dans Wild Heart ; il ne se résume pas au jeu de cowboy type Clint Eastwood des temps modernes ; il ne se borne pas au rôle tragique de Robert De Niro dans Taxi Driver, de Martin Scorsese. Plus qu'une banale juxtaposition d'hommages, il parvient à créer une œuvre novatrice. Il combine avec malice des scènes d'une rare intensité et des périodes au ralenti agrémentées de délicieux silences terriblement évocateurs, pour donner un rythme insoutenable à son récit. Les acteurs sont bluffants et contribuent pleinement au succès du film, avec au sommet Ryan Gosling (à l'affiche d'une autre film la même semaine, Les Marches du Pouvoir, de Georges Clooney) oscillant entre tendresse et brutalité sauvage, parfait en cavalier solitaire, laconique, anonyme et un brin ringard avec son cure-dent en coin et ce scorpion qui orne un blouson suranné. Ron Perlman, un peu en retrait, est quand même convaincant en mafieux transi, classé dans la catégorie « méchant » plus par contrainte que par conviction.


Dans une interview récente, Nicolas Winding Refn avoue avoir affiché un poster de Cannibal Holocaust dans son salon... Connu pour sa trilogie Pusher sur le milieu du crime à Copenhague, il a également réalisé Bronson, un film qui retrace la vie du célèbre prisonnier britannique réputé pour sa brutalité : autant dire que la violence fait partie intégrante de son parcours. Même si cela ne saurait être une finalité en soi, elle se ressent de manière claire dans Drive, avec par exemple la scène dans la loge des stripteaseuses ou dans l'ascenseur, avec une tension allant crescendo et où la violence jaillit en un éclair pour un tressaillement garanti. À mon sens, la portée de Drive est bien supérieure : c'est l'un des films dits « d'action » les plus aboutis de ces vingt dernières années, avec suffisamment de modestie pour ne pas prétendre au statut de chef-d’œuvre.


(1) Décidément, après le procès contre une frite responsable d'une chute, « ils » nous étonneront toujours... Voir l'article http://www.lexpress.fr/culture/cinema/drive-une-femme-porte-plainte-contre-une-bande-annonce-trompeuse_1038846.html.


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Nouveau visionnage, nouvelle critique :


Voilà, c'est fait. 7 ans après, je renoue avec le plaisir qu'avait procuré le visionnage d'un tel film un peu avant que sa renommée enfle au point de susciter des antagonismes aussi forts. Les conditions et le contexte de visionnage et leur influence sur notre appréciation, encore et toujours... Je reste persuadé que si "Drive" était resté dans une diffusion confidentielle, décorrélée de la pub et de tous ces effets de manche, la réception aurait été beaucoup moins clivante. Je reste convaincu que le cœur de la discorde se situe dans l'intention qu'on y perçoit et dans les attentes qu'on y place.


"Drive" n'est ni un exercice de style masturbatoire, ni un pamphlet moralisateur, ni une apologie de la violence, ni un délire d'auteur à tendance mégalomaniaque. "Drive" est presque l'antithèse des deux films qui ont suivi dans la carrière de Refn, les horribles et boursoufflés "Only God Forgives" et "The Neon Demon". Il est spectaculaire, certes, tout comme il joue la carte du mélodrame, du film d'action, etc. Tout (ou presque) y est à contre-emploi, du personnage principal au dernier personnage secondaire. Jouer avec les attentes semble même être une priorité, bien au-delà du simple recyclage de références (présentes en grandes quantités ici).


C'est à mes yeux un exercice d'équilibriste (parfaitement) réussi, jouant habilement avec une série d'outils à disposition : la course-poursuite, la violence gore subite, la romance, et bien sûr le maniérisme formel. Mais à mon goût, tout cela est manié avec soin, avec parcimonie, et surtout avec sens. On peut y accoler tout ce qu'on veut, derrière la posture du protagoniste mutique, comme condamné à vivre en retrait de la société, sachant que tout est déjà perdu, mais tout cela reste presque secondaire. Le film est comme une hypnose, visuelle et sonore, qui envoûte et conduit dans les rues de Los Angeles, dans une ambiance nocturne magnétique. Comme un conte urbain, simple, sombre, minimaliste, et fulgurant.


La critique dans son format original : http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Drive-par-Nicolas-Winding-Refn-2011

Morrinson
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le 26 juin 2013

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le 26 juin 2013

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Morrinson

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