Douleur et Gloire par Clément en Marinière

À en croire la presse, Douleur et Gloire serait le meilleur film de Pedro Almodovar depuis Volver. Rien qui n'étouffe nos critiques, qui n'avaient pas manqué d'en dire de même des Étreintes Brisées, La Piel que Habito, Julieta et même les innommables Amants Passagers en leur temps. Mais l'emballement autour du dernier film du maître espagnol ne tient sûrement pas tant à l'arlésienne d'un retour aux sources qu'à la connivence qu'il entretient ici avec ses initiés. Exercice d'autofiction méta un peu vain, Douleur et Gloire n'est pas tant un bilan qu'une autopsie de la carrière d'Almodovar lui-même, singé par un Antonio Banderas ébouriffé et cabotin. Les excès de la période Movida (ici, la drogue), les anciens amants et la relation fusionnelle avec maman répondent tous présent, avec en prime un petit vernis gériatrique qui préfère au mélodrame qu'Almodovar maîtrise pourtant si bien les occasions manquées d'un Wong Kar-Wai des mauvais jours.


On sait gré à Douleur et Gloire de quitter la zone de confort de son metteur en scène en conviant une certaine amertume au programme. Mais visiblement mal à l'aise, Almodovar pétri son film de lieux communs qui renvoient aux plus beaux moments de sa carrière, mais sans jamais parvenir à en reproduire la beauté. On lui reconnaîtra un certain courage, mais que faire de ces scènes embarrassantes avec sa mère mourante, qui errent dans l'ombre de quelques secondes de Julieta : dans la plus belle scène du film, la mère de l'héroïne du film, atteinte d'Alhzeimer, se réveillait en pleine nuit, soudain lucide, et reconnaissait sa fille couchée près d'elle. Almodovar ne parvient jamais à se positionner : il tente d'évoquer sans jamais copier, et échoue finalement à faire l'un comme l'autre.


La pièce dans le film, film dans la pièce et film dans le film font également bien pâle figure face à la très belle évocation romantique du film saboté de Harry Caine dans Les Étreintes Brisées. Dans la même veine, le petit twist final prête à sourire, mais n'enrichit que péniblement Douleur et Gloire : à bien considérer les ralentis de téléfilm ou les scènes pittoresques de flamencos de lavandières andalouses des flash-backs de jeunesse, il établit même, sans qu'on sache si c'est délibéré, la médiocrité de l'art de Salvador Mallo. Le film brode bien quelques très belles scènes, mais parce qu'il est construit sur une accumulation de vignettes articulées autour de raccords un peu vulgaires, il ne parvient pas à les justifier. Rien qui ne prive Douleur et Gloire d'une certaine grâce, notamment lorsque la fièvre caractéristique du cinéaste, globalement absente, affleure au détour d'une scène de baiser ou d'une douche improvisée. Mais c'est bien peu quand on le compare à Volver, ou, à tout hasard, à La Mauvaise Éducation. La boucle n'est pas encore bouclée.

ClémentRL
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le 25 mai 2019

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