J’ai abordé cette œuvre autofictionnelle avec un regard particulier : en dehors de La Piel que habito, je n’ai jamais vu un seul film de Pedro Almodovar de ma vie. Porté par l’engouement du festival de Cannes en cours et comme il n’est jamais trop tard pour s’intéresser à un cinéaste, j’ai décidé de profiter du passage de Dolor y Gloria dans mon cinéma de quartier. Pas sûr que ce nouveau film soit la meilleure porte d’entrée pour découvrir la filmographie du monsieur mais tant pis. Je ne sais d’ailleurs même pas si on peut parler de porte d’entrée. Il est peut-être plus adéquat de parler d’une petite porte de sortie de secours à moitié entrouverte. Enfin bref, au moins je pourrais me la raconter en société en disant que j’ai vu le dernier Almodovar quasiment en même temps que les « vrais cinéphiles » au festival de Cannes. En résumé, j’appréhendais donc de rester très distant et que le film ne s’adresse pas du tout au spectateur comme moi qui ne serait absolument pas familier de l’œuvre de son réalisateur.


J’ai finalement été agréablement surpris : Dolor y Gloria est loin d’être simplement le délire narcissique autobiographique d’un cinéaste qui s’autocite pendant deux heures. Bien sûr, même sans avoir vu la majorité de ses films, on sent qu’il fait référence à nombreuses reprises à sa propre carrière. Mais le sujet central abordé par Almodovar se révèle beaucoup plus universel. Et même plus qu’une réflexion sur le cinéma, son long-métrage est une réflexion sur toutes les formes d’art et surtout sur la place que l’art occupe dans notre existence. Ce traitement se fait à travers le prisme de Salvador Mallo, reflet fictif d’Almodovar, grand réalisateur à succès reconnu dans le monde et maintenant à la retraite plus ou moins forcée. Ce dernier vit reclus entouré de peintures et de livres dans un immense appartement. Comme expliqué dans un très beau passage en animation, le corps vieillissant de Salvador est de plus en plus meurtri. Plus qu’une simple douleur physique, la souffrance de son personnage est avant tout psychique. Sans la création, sa vie commence à perdre tout son sens. Mais est-ce réellement la condition physique de Salvador qui l’empêche de tourner un nouveau film ou le manque d’inspiration.


Piégé dans un cercle vicieux, sa dépression le met en incapacité de s’adonner à son art et se nourrit à la fois de la frustration qui en découle. L’héroïne devient son seul refuge pour échapper à la douleur, et tel un De Niro sous opium dans Il Etait Une Fois en Amérique, il se remémore et phantasme son enfance. Puis soudain va ressurgir fortuitement de ce passé un grand amour presque oublié. C’est pendant ces retrouvailles bouleversantes, alors que le souvenir de la passion et du désir refait peu à peu surface, que l’on entrevoit un début de salvation. En continuant son exploration de ce temps lointain où sa mère étendait le linge en chantant au bord d’une rivière et où il vivait dans une maison sous la terre avec comme seule source de lumière une grille donnant sur le ciel, il finit par retrouver ce fameux moment où tout commence. Sur fond d’une magnifique voix sortant d’un poste de radio, dans une scène incroyablement sensuelle, Salvador parvient à retourner à la source du désir. Véritable déclic pour le cinéaste, ce simple souvenir fait renaitre en lui la flamme qui s’était éteinte, lui redonnant à la fois l’envie de créer mais surtout l’envie de vivre.
Dolor y Gloria montre la vie et l’art comme deux entités indissociables, allant jusqu’à s’amuser à brouiller la frontière entre les deux dans une superbe scène finale. Le cinéma devient un moyen de transcender l’être et d’éclater les notions d’espace et de temps. Il permet, pour le temps d’un film, de retomber en enfance et de faire la paix avec ses fantômes.


Finalement mes craintes auront été rapidement apaisées, le film d’Almodovar n’apparait pas comme une démarche égocentrique. Si son auteur se dévoile probablement beaucoup à travers l’histoire de Salvador, il le fait avec une réelle pudeur. Il parvient à véritablement émouvoir même le néophyte, démontrant que son autofiction est loin d’être gratuite.

Baptsterd
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le 29 mai 2019

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