Pour moi, le seul moyen pour que le film marche en l’état, c’est qu’au moment de la scène sur Hollywood s'emparant de la crise, à la place du blockbuster teubé avec Chris Evans s'exclamant “C’est un divertissement !”, il y ait une satire consensuelle avec un acteur oscarisé s'exclamant “Dès qu’on m’a dit perruque et fausses dents, j’ai foncé !”. Là, le film aurait un peu de mordant.


À qui s’adresse-il ? À un gamin de 16 ans, pour lui confirmer que oui, les médias sont calculateurs, les politiques sont opportunistes, les riches sont avides ? À quelqu’un de plus vieux, pour le caresser dans le sens du poil tout en espérant lui faire croire qu’il vient de regarder un brûlot politique ?


Car c’est bien tout ce que je n’aime pas dans le film politique : on enfonce des portes ouvertes à grand coup de lieux communs, ensuite on arrête et on attend le “Wow” qui doit suivre. C.O.N.S.T.A.T.E.R. N’.E.S.T P.A.S S’E.N.G.A.G.E.R


Donc faute d’un vrai discours, d’une vraie déclaration inattendue ou d’un vrai acte politique, on doit successivement, presque schématiquement (parce que bouffer à tous les râteliers participe à la finesse de l’analyse), voir que les gouvernements n’abordent pas les vrais problèmes, que les stars nous distraient de ces même problèmes, que la presse n’ose pas les aborder à bras le corps, et puis les géants de la tech, et puis les influenceurs, gna gna gna… Mais peu importe, au bout du compte, l’important, c’est d'essayer de ne pas mourir seul. Un activisme courageux de la part de McKay, un discours profond sur notre incapacité à faire face.


Parce qu’il ne propose rien, même pas d’explorer les questions qu’il soulève, aussi basiques soient-elles. Si ce qui sous-tend la première moitié du film, c’est que les politiques sont attachés aux sondages d’opinion et les médias aux taux d’engagement, qu’est-ce que ça dit sur ce que le peuple a entre les mains ? Est-ce qu’on parle résistance, désobéissance, conflit, responsabilité ? Pas vraiment. Quelqu’un dit “Qu’est-ce qu’on va faire, un coup d'État ? Pfff !”. Le débat entre ceux qui lèvent les yeux et ceux qui refusent est ramené à une cacophonie Internet, deux camps aussi vide de sens et d'influence l’un que l’autre.


C’est peut-être ça le pire, évoquer vite fait l’alternative mais dire que c’est vain. S’engager, c’est inutile. Voir ses convictions les plus basiques être confirmées, ça par contre, c’est fort. Et pas du tout superficiel. Ou populiste.


Et ce n'est pas seulement superficiel ou populiste. Par facilité, par paresse intellectuelle, le film cède au cynisme, croyant plus intelligent ou plus pratique de montrer un système qui avance quoi qu’il arrive vers sa finalité. Quelle finesse, j’en tremble dans mes convictions les plus profondes. Ou plutôt, non, je reste un spectateur du monde, croyant s’élever au-dessus de la masse parce qu’il sait que la machine en place est trop absurde pour être enrayée, et restant du coup sagement à sa place, le petit sourire narquois en plus.


De toute façon, la lâcheté du film, au-delà de sa consensualité, se révèle dès son choix de la métaphore. Vouloir faire un film sur le manque de réaction face à la menace tangible et urgente du réchauffement climatique en passant par une métaphore, yes, c’est pas du tout paradoxal. Et c’est très courageux (tout comme faire un film sur Dick Cheney 10 ans après qu’il ait quitté le pouvoir pour dire “Vous savez quoi ? C’était un sale type”). Et faire de cette crise une menace qui vient d'ailleurs et face à laquelle la société refuse d'agir, plutôt qu'une conséquence direct du fonctionnement même de cette société, c'est un autre problème fondamental.


Sinon, on pourrait dire que les comédies d’impro n’ont manifestement pas aidé McKay à développer un sens du découpage dans ses dialogues, que les montages vagues et erratiques entre les séquences n’aident pas à créer le sentiment d’un discours construit et acéré, que l’humour aurait déjà paru redondant lors de l’ère Trump/Covid et que le fait d’arriver après aide encore moins, que le gros cabotinage d’une partie du casting fait franchement peine à voir…


Bref, on n’a pas un grand film.


Je dirais qu’il gagne des points lorsqu'il essaie de lier la construction de ses personnages principaux à sa satire, en sortant des caricatures. En l'occurrence, en utilisant l’arc de Leonardo DiCaprio (qui est bon dans le film, comme Jennifer Lawrence) pour parler du fait que face à un danger incommensurable, il est facile de choisir de se perdre dans les rouages d’un système plus confortable.


Dommage que le film n’applique pas ce constat à lui-même, car cet instinct de survie est ce qui le tue dans l'œuf. C’est pour ça que simplement changer la scène sur Hollywood aurait changé tout son sens et l’aurait rendu presque bon.


Et en vrai, je suis moins vénère contre ce qu’il fait (être apathique) que contre ce qu’il croit faire (lutter contre l’apathie). Franchement, enfiler des perles est souvent inoffensif. Mais le faire en croyant sortir les gens de leur torpeur, les secouer face à la menace existentielle qui leur fonce dessus, ça devient, au mieux, un peu paradoxal. Et au pire, une perte de temps précieux. Si je dois baisser les yeux vers mon écran, c’est pas pour entendre que ça vaut pas le coup de faire autrement.

ClémentLepape
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le 23 juin 2022

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Clément Lepape

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