Quinze ans sépare Dog Bite Dog de Limbo et Soi Cheang magnifie déjà sa noirceur et son ambiance désespérée, où la quête de rédemption passera encore par la violence. La scène d'introduction pour Pang (Edison Chen), tueur à gage impassible est également pour le cinéaste l'occasion de parler d'autre chose. De ces jeunes orphelins Cambodgiens, parqués et utilisés pour des combats de l'extrême avant d'être des tueurs implacables. Images d'archives à l'appui, le cinéaste dénonce la déshumanisation passée sous silence et rend compte du tragique de ces destinées. On pense inévitablement à Danny the Dog, l'optimisme en moins. Et si Jet Li nous ravissait de beaux combats chorégraphiés, ici, on apprécie d'emblée les corps à corps désordonnés qui relèvent plus de la survie que de la beauté du geste. Les images floutées rendent compte de la saleté ambiante et les regards vides des enfants, de leur absence au monde, pour marquer la bestialité une fois adultes. On accroche direct par la tension qui émane de sa mise en scène, sans nous en mettre plein la vue, évitant le gore ou autres ralentis sur des visages tuméfiés.


La première partie est sèche et efficace rentrant dans le vif du sujet, par une série de meurtres pour Pang, alignant les morts, mû par l'habitude à survivre, avant de décaler ses caractérisations. Un sursaut de bienveillance pour Pang, toute proportion gardée, propulsé dans la ville, découvrant un autre aspect de la misère pour les laissés-pour-compte, et l'inspecteur Waï (Sam Lee) a sa poursuite, devenant peu à peu à son image, obsédé à trouver l'assassin de ses co-équipiers, dépassant les limites de son métier. Avec la hargne de Waï, vis-à-vis d'un père décevant le poussant à exorciser son traumatisme par la quête de vengeance et pour Pang, la haine à venir pour un souteneur qui l'aura trompé, le cinéaste donne alors une piètre image de l'autorité parentale, qui viendra se conforter par les abus sexuels que Yu (Pei Pei) subira de son père avant d'être prise en charge par Pang. Bien sombre encore une fois mais la radicalité qui parcourt le métrage est jouissive. Une proposition franche qui ne s'encombre que très peu de sentimentalisme et suit sa ligne. On pense aux délires de Takeshi Miike sans en avoir les abus visuels, pour mettre en valeur des caractères excessifs. Une mise en scène toujours lisible, sans temps mort, avec la mise en valeur des décors de la ville, faite de ruelles vides, de bâtiments désaffectés, de lieux nocturnes et inquiétants pour des combats à venir et à la violence frontale, ou encore une fois les chorégraphies ne sont pas mises à l'honneur. Quelques plans croisés plus timides mais toujours aussi efficaces, notamment dans les techniques mises en place pour la traque qui sont toujours autant immersives.


Edison Chen est parfait, entre beauté ingénue et animosité innée, saccageant tout sur son passage, avant sa rencontre avec Yu, seul exutoire à sa vie de violence. Et si on a du mal avec Sam Will par un caractère déjà bien borderline dès le départ, le traumatisme apportera un peu plus de profondeur à ce personnage torturé et son jeu s'affirme. Pei Pei, restera elle, du domaine de la seule représentation pour la violence faite aux femmes, trop lisse et invisible, où l'absence de dialogue ne sera pas remplacé par un jeu marquant. Et malheureusement la version française accentue les intonations poussives propres au genre et certaines scènes sembleront parfois sur-jouées, notamment celle de la confrontation de Waï et de son père, du supérieur aux remontrances continuelles pour son lieutenant, ou des pleurs incessants de Yu. On se reposera avec Pang et les morceaux musicaux ramenant le calme avant la tempête, pour quelques envolées lyriques du meilleur effet.


Reste un visuel moins travaillé, moins photographique malgré des tons passés qui accompagnent le sentiment dépressif de l'œuvre et une caméra rapprochée pour un réalisme exacerbé, mais le derniers tiers sape tout d'un coup le plaisir. Les retrouvailles entre les deux hommes laissent perplexe et semblent démontrer la difficulté de Soi Cheang à clore son intrigue appuyant son portrait miroir des deux hommes. Des combats traînant en longueur, toujours répétitifs mais trop éloignés de l'action qu'ils finiront par lasser, et une résolution des plus délétères, laissera comme pour Limbo un sentiment de frustration. De l'obscurité de la ville à la lumière de la campagne, si nos deux adversaires ont trouvé enfin le repos du guerrier, la dernière scène, donnera le coup de grâce en marquant le pessimisme profond de Soi Cheang.

limma
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le 27 sept. 2021

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