"Dr. Folamour", est à mon sens l'un des plus grands films de Stanley Kubrick. Réalisé en pleine guerre froide, le scénario va y poser immédiatement ses bases :


Attention ce qui suit dévoile les événements du film je conseille donc de l'avoir visionné avant de poursuivre cette critique !


Nous sommes dans un contexte de guerre froide. Le général de l'Armée de l'air américaine, Jack D.Ripper (Peter Sellers), prend la soudaine décision d'envoyer des avions pour bombarder des positions stratégiques de l'URSS pour lui enlever son arsenal nucléaire. Le président américain, en apprenant la nouvelle, va réunir son groupe de politicien dans le QG de guerre pour discuter du problème tandis que les avions sont déjà en route. Il va mettre au courant les Soviétiques et discuter pour éviter une guerre nucléaire. La plupart des avions seront alors abattus par l'URSS pour éviter la catastrophe tandis que d'autres seront rappelés in extremis à la base grâce à l'initiative du second du général Ripper. Cependant, un des appareils réussi à passer entre les tirs Soviétiques et commet l'irréparable. Le président américain comprend alors que l'URSS va riposter avec l'arme atomique. Le docteur Folamour, un scientifique adorateur du nazisme, proposera alors la solution qu'ils vont devoir aller vivre 100 ans dans des mines pour survivre avec seulement les meilleurs éléments humains pour perdurer la race.


Nous sommes ici confrontés à ce qui reste encore aujourd'hui dans l'inconscient collectif comme l'un des cinéastes les plus reconnus de tous les temps : Stanley Kubrick. Célèbre auteur autodidacte ayant réalisé des oeuvres cinématographiques monumentales comme "2001: A Space Odyssey" en 1968, "A Clockwork Orange" en 1971 ou bien encore "The Shining" en 1980 pour ne citer qu'eux. Pratiquement tous ses films sont aujourd'hui connus du grand public et sont considérés par beaucoup comme des chefs-d’œuvre absolus du Cinéma. Son impact cinématographique et culturelle est sans précédent, nous pouvons qualifier Kubrick de visionnaire. Il va explorer tous les genres à travers sa filmographie : "Full Metal Jacket" pour le film de guerre ou "Barry Lyndon" pour la fresque historique (chose encore assez rare dans le milieu du Cinéma de l'époque, en général chaque studio/réalisateur avait son genre de prédilection). Il va développer sa conception du cinéma grâce au contrôle absolu qu'il possède sur ses films suite à son départ d'Hollywood. Cela explique parfaitement l'aspect si unique que représente son univers pour le spectateur d'époque ou contemporain. Nous allons ici plus particulièrement nous pencher sur ce qui est dans doute l'un des longs-métrages les plus importants de sa production cinématographique : Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, arrivé dans les salles de Cinéma en 1964.


Comme énoncé précédemment, nous sommes face à une oeuvre se déroulant dans un contexte de guerre froide. Les américains et les soviétiques sont donc en opposition ; la population de chaque nation respective se retrouve à vivre dans la peur et subit donc ce que l'on nomme "l'équilibre de la terreur", les deux nations se menaçant en effet mutuellement d'utiliser l'arme atomique contre l'autre.
Le long-métrage se veut très clairement comme un film proposant un réalisme social abordant donc les problèmes de société. Le spectateur comprend en effet vite qu'il est face à une satire du gouvernement en place. Celle-ci cherche à dénoncer ce pouvoir en place et sa non-humanité absolue. Kubrick est le marionnettiste de cette satire et dénonce très explicitement les désastres que causeraient la bombe atomique si l'un des deux camps venaient à l'utiliser contre son adversaire. Le principe de l'équilibre de la terreur est ici expliqué par le fait que si les avions de guerre américains utilisent l'arme sur les cibles soviétiques, l'URSS ripostera avec la bombe atomique contre les USA. La morale veut ici démontrer que si l'un des deux opposants tente de faire exploser l'autre, il ne pourra que sombrer aussi, provoquant ainsi la destruction totale et absolue des deux camps ainsi qu'une grande partie de l'humanité en terme géographique, humain et éthique. La guerre nucléaire conduirait donc le monde à sa perte. Stanley Kubrick exprime également cette critique sociétale en s'attardant plus sur le cas américain. L'envoi des avions de guerre vers l'URSS est avant tout une décision du général Jack D.Ripper (Peter Sellers) qui est lui-même un citoyen américain. Cela renforce la culpabilité de ce camp dans le cadre du récit. Cependant la séquence la plus emblématique pour démontrer cette notion de remise en question de la société américaine est sans aucun doute l'avant dernière du film. Celle-ci met en scène la chute de la bombe atomique sur une cible stratégique soviétique. Le missile nucléaire, dans sa chute de l'avion, est littéralement chevauchée comme un animal par l'un des pilotes américains semblant ampli de fierté tandis qu'elle tombe dans le vide. Il s'agit du plan le plus célèbre de tout le long métrage et nous comprenons pourquoi. Cette scène veut faire faire un parallèle avec l'une des images clichées de l'Amérique présentant un “cow-boy” chevauchant ou dominant un bison, un cheval, ou bien encore un taureau tout en secouant son chapeau dans les airs. L'image représentée dans le film est la même et a pour symbolique que l'américain se prend ici pour le dompteur de la bombe, c'est lui qui en est le maître et qui est à l'origine de sa puissance dévastatrice. Il veut montrer sa dominance. C'est aussi une manière pour le personnage de montrer tout son mépris pour le peuple Soviétique, il veut représenter une image de “dompteur” de l'URSS en s'écrasant avec l'arme nucléaire et anéantissant une partie de ce territoire.


La remise en cause de la société américaine et la société en général se matérialise également en la personne du Dr.Folamour (Peter Sellers encore), un scientifique adorateur du mouvement nazi. C'est lui qui proposera l'idée que seuls les meilleurs hommes devront survivre si les Soviets venaient à utiliser la bombe et que les femmes n'auront plus d'autres intérêts que de servir d'objet pour la reproduction. Il symbolise à lui seul le thème de la déviance et du traumatisme de la guerre. Les américains écoutent alors l'idée d'un fou qui ne saura pas relever une société qui a cet instant précis est déjà en chute libre, au porte de sa propre destruction. C'est une vision de la société d'après-guerre criante de vérité. Le monde n'est pas encore dénazifié et même après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale les gouvernements en places sont prêts à aller jusqu'au bout pour obtenir le pouvoir quitte à signer son auto-destruction.


Le personnage si emblématique du Dr.Folamour, campé par un Peter Sellers excellent, est un symbole des cicatrices de la guerre qui ne peuvent disparaître et de la guerre froide. Kubrick nous avait déjà offert un chef d'oeuvre un peu moins de 10 ans avant ce long-métrage parlant de la guerre, il s'agit de "Les Sentiers de la gloire" (1957). Ici nous sommes plongé au coeur de la Première Guerre Mondiale, la guerre des tranchées. Le réalisateur nous prouve avec ces 2 oeuvres (bien que l'on puisse faire ce constat en regardant sa filmographie en général) sa capacité à s'adapter à tout les sujets aussi bien politiques, scientifiques, culturels ou humains.
"Dr.Folamour" est probablement l'une des oeuvres les plus forte de Kubrick, tant son propos et sa maîtrise de son sujets est totale. Un chef d'oeuvre tout simplement.


Stanley Kubrick est un visionnaire possédant une conception du Cinéma qui lui est propre. Grâce aux nombreuses notions qu'abordent ses oeuvres cinématographiques, il a permis de délivrer des messages moraux touchant bien plus que seulement le domaine de l'image. Son génie a été bien au delà si bien qu'aujourd'hui encore peu de personne arrive à comprendre comment a-t-il pu créer des objets aussi fous. Il s'agit bien là de l'une des plus grandes figures de toute l'Histoire du Cinéma.

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