Qu’est-ce qu’un propos au cinéma ?
Cette question, j’avoue aimer me la poser souvent, ou plus exactement j’aime souvent la poser.
Parce qu’à lire à droite et à gauche, j’ai l’impression qu’on oublie souvent – du moins pour certains – ce qu’est le fondement même du cinéma.
Le cinéma c’est avant tout un art du mouvement. Un art du rythme. Un art sensitif. De là, on ne peut arrêter le propos d’un film à ses seuls discours et aux seuls dénouements de ses intrigues.
Au cinéma, un propos peut aussi tenir en sa seule proposition cinématographique. Et si je vous parle de cela en amorce de cette critique au sujet de Disco Boy, c’est bien évidemment parce que j’ai trouvé pleinement de ça dans ce premier long-métrage de Giacomo Abbruzzese.


Ce film, on pourrait effectivement le réduire à ce que son intrigue raconte, c’est-à-dire l’histoire d’un jeune-homme, Aleksei, qui pour fuir son destin sans horizon, décide d'émigrer de sa Biélorussie natale afin de gagner la France. De là, il rejoint la Légion étrangère afin d’obtenir les papiers et la vie de substitution tant convoités. Mais pour rester il va donc falloir partir. Partir en mission au Nigeria…
…Et c’est à partir de là qu’on peut définitivement dire que ce qu’a à raconter ce Disco Boy se joue au-delà de son intrigue. L’important n’est dès lors plus ce qui se passe mais plutôt ce qui se ressent. Que ce soit au travers de ces jeux de danses frénétiques, par ces flamboyances qui naissent dans les pupilles comme dans les torses étrangement mis en valeur par une vision infrarouge fantaisiste, ou bien tout simplement dans les compositions toutes en suspension de Vitalic, Abbruzzese fait comprendre que l’essentiel est ailleurs ; que ce qu’il cherche à capter et à transmettre se joue au-delà du narré ; au-delà même du dit.


Disco Boy c’est ce pont que dresse un film entre le mutin nigérian et le soldat français, entre l’orphelin d’Europe de l’Est et le chef de clan d’Afrique de l’Ouest. Tout les oppose et pourtant tout les unit. Une opposition sanglante ne suffira d’ailleurs pas à les séparer. Ils sont liés. Irrémédiablement.


Oui, il y a quelque-chose qui lie tous ces égarés. C’est ce que cherche à nous nous faire voir Abbruzzese. Tous les deux au fond sont des apatrides ; des étrangers dépossédés de toute patrie et de toute famille. On leur saccage une vie pour mieux leur en imposer une autre. D’un côté c’est une rivière qu’on souille et de l’autre c’est un nom qu’on bafoue. On les fait se combattre et pourtant une même vibration les fédère. Une vibration sous forme de danse.
Un propos qui tient finalement en cette seule figure – quand bien même est-elle parfois un peu forcée – celle du danseur.


Alors certes, tout n’est pas parfait dans ce Disco Boy. Parfois le verbe est un peu maladroit, le symbole un brin insistant, et surtout il y a ce problème lié à ce choix de la langue française et anglaise pratiquée quasi-exclusivement par des non-locuteurs français et anglais. La parole râpe régulièrement, la fluidité en prend dès lors forcément un coup et le sentiment d’artificialité n’est jamais bien loin.
Malgré tout, de cet effet toc, le film parvient néanmoins à en tirer quelque-chose à son service (et j’ignore d’ailleurs si c’est voulu ou non). Cet effet, c’est celui de tous ces hommes et femmes qui se retrouvent à devoir vivre et parler avec une langue qui n’est finalement pas la leur, dans une vie qui n’est finalement pas la leur non plus, mais tout en cherchant à se convaincre que là est pourtant leur place.
Au fond, dans Disco Boy il n’y a pas qu’Aleksei qui pointe à la Légion étrangère. Tous, à leur façon, forment une légion d’étrangers. Et il n’y a finalement que dans la danse – dans l’expression de ces moi profonds – que chacun parvient finalement à se révéler à lui-même pour ce qu’il est vraiment. Un prisonnier. Un captif. Un esclave. Un esprit qui ne demande qu’à se libérer et qui a besoin de retrouver les siens pour y parvenir.


En cela Disco Boy constitue une vraie expérience de cinéma ; du moins à la façon où moins je l’entends.
Ce que transmets ce film ne peut être transmis que par l’intermédiaire du médium cinéma. Il tente beaucoup et réussit pratiquement à chaque fois.
Il est un cinéma habité et par conséquent il parvient à devenir du cinéma habitant.
Disco Boy m’a habité. Et pour cela je lui en suis reconnaissant.
Et il ne tient désormais qu’à vous de vous laisser pénétré par ce démon dansant…

lhomme-grenouille
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le 20 mai 2023

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