Arf !
Eh bien me voilà bien partagé voyez-vous…
Partagé d’un côté entre un cœur d’esthète satisfait et de l'autre un esprit tatillon un brin chiffonné.


Satisfait formellement parlant donc car oui, pour moi, « Dilili à Paris » c'est vraiment très joli.
Et c’est marrant parce qu’avec les dessins-animés de Michel Ocelot ça me fait à chaque fois le même coup : sur les premiers plans je ne peux m’empêcher de grimacer en me disant que c’est sacrément dépouillé, avec une animation un brin rigide, et puis finalement – en à peine une minute ou deux – le charme finit toujours par opérer sur moi.
Justement, j’aime ce côté un peu rigide, comme si on assistait à une sorte de théâtre de pantins.
Ça donne paradoxalement une vraie texture spécifique à cet univers et donc, par déclinaison, une certaine forme d’épaisseur.


En plus, pour ce long-métrage, Michel Ocelot a décidé de mettre en valeur le Paris de la Belle époque, notamment en ayant recours à un procédé de dessin sur photographie que moi j’ai trouvé globalement très réussi (il y a bien deux trois plans pas très bien intégrés, mais bon). D’ailleurs, une bonne partie de l’intrigue consiste à voir tous nos personnages se balader à travers cet album photo ce qui, de mon point de vue, parvient à donner vie à cet espace mi-réel, mi-fictionnel.
Personnellement j’ai trouvé ça très réussi et c’est à mon sens l’une des grosses forces du film.


Parce que l’air de rien, à solliciter toutes les figures historiques et culturelles qui ont fait le Paris de cette époque-là, « Dilili » parvient à maintenir un joli équilibre entre le film « carte postale », le conte pour enfants et la « fresque » historique à mi-chemin entre réalité et fantasme…
Pour tous ces aspects-là, « Dilili à Paris » possède une véritable personnalité – une identité visuelle assez unique – et rien que pour cela il peut être source de plaisir, voire de ravissement…


Seulement voilà, le problème à mon sens, c’est que ce long-métrage ne parvient pas à tenir les mêmes promesses au niveau de sa narration, et parfois le conte et le fantasme se transforment vite de manière assez déplaisante en une sorte catéchisme rugueux sans cohérence ni subtilité.


Sans cohérence d’abord parce que, clairement, je trouve que le scénario n’a pas d’unité ni de cheminement. Le film commence en jouant sur la remise en cause des préjugés et de points de vue portés sur chacun. Et en ce sens je trouve que l’introduction construite autour de la présentation du personnage de Dilili fonctionne très bien. Pour le coup, je craignais une sorte de personnage « Mary Sue » un brin agaçant et anachronique, mais Ocelot a su prendre le parti habile d’en faire une véritable anomalie – y compris pour son temps – à tel point que même nous – spectateurs contemporains – nous nous devons de nous adapter à cette étrangeté que constitue cette gamine métisse instruite par une institutrice anarchiste et éduquée aux bonnes manières par une comtesse parisienne.
Ainsi Dilili agit-elle comme un miroir déformant auprès de tout son entourage, osant les remarques espiègles et effrontées de la haute société tout en réfléchissant sur sa propre situation avec cette naïveté candide propre à tous les enfants.
Or, vu que le film est pensé comme une balade organisée dans le Paris de la Belle époque, le fait qu’on ait un personnage « miroir » comme celui-ci apporte une note supplémentaire de profondeur et fraicheur.


Mais le problème, c’est que l’équilibre de cette démarche ne tient en tout et pour tout qu’une petite moitié de film.
Pour le reste, Ocelot a dû prendre conscience qu’il ne pourrait durer 1h40 sur le seul principe d’une balade d’un lieu mythique à un autre, d’une personnalité à une autre, et donc il s’est risqué à y greffer une autre intrigue à base de « mâles maîtres » ravissant des petites filles dans la ville.
Et si, effectivement, je pense qu’il fallait bien introduire une intrigue complémentaire à celle de la balade de Dilili, je trouve que celle-ci est en totale rupture avec l’état d’esprit général mis en place depuis le début du film.


Ce n’est pas compliqué : plus cette intrigue prenait de la place dans le film, et plus je me suis senti gêné, ayant l’impression de subir un kyste qui n’avait pas sa place dans ce spectacle.
Parce que le problème avec cette intrigue de mâle maîtres, c’est qu’au contraire de tout le reste, elle ne dit strictement rien du Paris de la Belle époque.
Elle est une intrigue totalement déconnectée de l’aspect voyage et découverte auquel semblait nous initier ce film. Si encore cela avait été une intrigue politique à base d’attentats anarchistes, d’espionnages franco-allemands ou bien encore de questions coloniales, j’aurais trouvé cela pertinent et dans son temps. Seulement voilà – et c’est certainement très révélateur de l’époque dans laquelle nous vivons – Ocelot a visiblement estimé que c’était sûrement trop compliqué et scabreux de parler politique, du coup il a préféré nous faire une leçon de morale totalement anachronique et surtout abominablement caricaturale.


Et c’est là qu’arrive mon deuxième reproche face à ce « Dilili à Paris » : le manque de subtilité.
Franchement, cette histoire de « Mâles maîtres » : c’est une leçon de morale appliquée au burin. Et le paradoxe, c’est qu’en plus d’être anachronique, je la trouve totalement contre-productive.


Si le but c’était de sensibiliser les gens (et plus spécifiquement les enfants) à la question de la place de la femme dans la société, je pense que le mieux aurait encore été de soulever les vraies formes d’aliénation de la femme, que ce soit celles d’hier comme celles d’aujourd’hui. En offrant cette secte qui pose pour unique dogme la réduction de la femme au simple fauteuil serviable, on tombe dans une caricature qui ne correspond à rien de réel aujourd’hui, pas même les mouvements islamistes les plus radicaux qui semblent ici visés.


D’ailleurs – et c’est cela qui au fond m’a le plus dérangé avec cette intrigue là – c’est qu’au final, à bien tout regarder, il y a dans ce discours quelque-chose d’assez droitard et réactionnaire.
D’un côté on porte sur un piédestal toutes les figures consacrées de la bourgeoisie de l’époque (Louise Michel étant l’arbre qui cache la forêt), les transformant tous en une classe uniforme de gens progressistes et ouverts sur toutes les questions (ce qu’ils n’ont pas tous été, loin de là), et de l’autre, on a les gens du peuple qui sont racistes parce qu’ils sont moins éduqués intellectuellement (le chauffeur, les gens de la rue), on a les prolétaires qui sont violents parce que pauvres (cf. le bref passage dans le quartier ouvrier), et enfin ce drôle de simulacre satanique dans lequel on retrouve des hommes qui mettent les femmes en niqab. Eh bah c’est bête, mais moi, quand je vois ces détails-là (qui n’en sont pas) dans cette jolie fresque que nous peint Michel Ocelot, je tique.


Oui, je reconnais que visuellement c’est très beau (exception faites des chevaux hideux de Sarah Bernhart, mais bon je chipote), mais dans l’esprit général du film, je trouve qu’il y a un dérapage idéologique de vieux papy moraliste que j’ai du mal à cautionner.
Alors c’est vrai, l’un dans l’autre, le cœur l’a emporté sur l’esprit puisque je lui mets la moyenne à ce film. Mais bon, quoi de plus désagréable que de mettre son cœur et son esprit en balance, et c’est malheureusement ce qu’a fait avec moi « Dilili à Paris »…

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le 3 nov. 2018

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