L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (le vrai)

Bon… il va falloir qu’on parle, là… et sérieusement…


Remaker Clouzot, moi je veux bien, hein ; m’enfin il s’agirait tout de même de ne pas faire n’importe quoi. Je sais bien que ce remake des Diaboliques n’est pas le premier des remakes du bonhomme, que Le Salaire de la peur y est passé avant lui, mais enfin lorsque Friedkin remake Le Salaire de la peur en 1977, il ne le fait pas n’importe comment. Le gars est pas complètement con, il a bien compris qu’il ne pouvait pas rivaliser avec Clouzot sur le terrain de la tension/angoisse, donc il te réalise un film complètement différent – dont la première moitié est même complètement inédite. Il conserve le concept et les trois quatre péripéties clés mais te renouvelle tout le reste (exposition, personnages, décor, ambiance) et exécute un geste vraiment différent... Qui n’égale certes pas l’original mais un geste costaud tout de même.


Alors que ce remake des Diaboliques, bordel… Je m’attendais à un truc nul (au vu de l’oubli abyssal dans lequel a déjà sombré le film depuis sa sortie en 1996), mais « juste » nul. Gentiment nul, quoi. Un truc qui se regarde sagement, avec au pire un désintérêt poli pour qui connaît l’original. En somme, un remake qui ferait la même chose en moins bien – là où celui de Friedkin faisait lui quelque chose de différent.


Sauf que non, ce Diabolique (au singulier, du coup) ne parvient même pas à refaire la même chose en moins bien : il refait la même chose en mal. Là où, chez Clouzot, tout était mesuré, parfaitement millimétré et agencé, tout ici est bâclé, survolé, ridicule… tout sonne faux ! Les scènes clés de l’intrigue (que je n’énumère pas) sont toutes présentes, oui, mais absolument toutes torchées. Outre leur absence complète de talent, toutes sont deux, trois, quatre fois plus courtes que dans l’original ! Et du coup infiniment moins marquantes et stressantes que dans le Clouzot. Le gars n’a juste pas compris comment tu faisais naître la tension, le mystère, l’angoisse… Il se contente de re-raconter platement ce que racontait le Clouzot, sans comprendre ce qui en faisait la force.


Tout ça en outre tartiné à la sauce « thriller sexy » des années 90, donc saupoudré de petites touches d’érotisme – éventuellement saphique –, de grossièreté, de blagues de merde, de deux trois ralentis et même d’un peu d’action (j’y reviens très vite) : bref, le classicisme et la noirceur de Clouzot laissent la place à toute la vulgarité et la beauferie américaines... Joie !


Alors tâchons d’être honnêtes : le film tente aussi deux trois trucs de fond. S’il reprend de l’original tout son déroulement, ses décors et ses personnages, il propose tout de même une poignée de variations et d’ajouts vaguement notables… sauf qu’ils sont tous complètement cons (et heureusement qu’ils ne sont pas nombreux, du coup). Un exemple de variation ? Le trajet retour des deux nanas avec la malle dans le coffre n’est plus perturbé ici par un troufion bourré qui s’incruste dans le coffre, mais par un barrage policier. Qui verra deux flics manipuler la malle de quatre-vingts kilos sans se demander ce qu’il peut bien y avoir dedans… ben voyons… Une péripétie crédible et stressante est donc remplacée ici par une péripétie moins crédible et en outre moins stressante (alors qu’il y avait en soi la matière)… bien joué. Et un exemple de rajout ? La scène de la jeune maîtresse enceinte. Mais oui, bien sûr… quelle bonne idée de mêler à une combine aussi dangereuse une complice dont le rôle est aussi inutile…


Et putain, là il faut quand même parler du rajout à la toute fin, cette cerise sur le gâteau à la merde, cette conclusion inédite qui achève de détruire le film. Et là, si tu n’as pas encore vu le Clouzot, je t’enjoins à interrompre de suite ta lecture (et à aller regarder le Clouzot, tant qu’à faire). Et si tu l’as vu, sache que je vais spoiler salement ce remake, donc à toi de voir :


Ici, la femme du directeur ne meurt pas d’une crise cardiaque après le coup du mort qui se lève dans la baignoire. Non non, elle survit ! Ce qui fait péter un câble au dirlo, qui se met à cogner les deux nanas. S’ensuit alors une scène de combat entre les trois, avec un final digne d’un Vendredi 13 (qui voit le dirlo que l’on pensait mort – il s’est mangé un râteau dans le crâne – ressurgir de l’eau pour une dernière frayeur). Puis il se refait tuer par les deux nanas, suite à quoi la flic à la retraite débarque et décide de couvrir les deux, après avoir collé une droite à Adjani et lui avoir sorti que « mdr, comme ça la légitime défense sera plus crédible »… putain mais… pourquoi tu fais ça…


J’imagine tellement le tocard de scénariste qui a écrit ce torchon regarder le film de Clouzot, et se dire à la fin « Mouais, pas mal, ce vieux film français… y’a de l’idée… mais je peux faire mieux, attends. » puis imaginer, tout fier de lui, ce final inédit avec sur-twist, baston et screamer digne de Vendredi 13. Ben ouais, il manquait bien ça à la vieillerie de Clouzot… pour que le spectateur ricain moyen ne sorte pas de la salle avec un goût d’inachevé en bouche…


Alors que sauver de ce naufrage ? Avec un peu de bonne volonté ? Eh bien les deux actrices – j’ai nommé Isabelle Adjani et Sharon Stone – sont bonnes, forcément. Chacune dans leur style… J’avoue que si Stone était taillée pour le rôle, je n’aurais pas songé à Adjani pour reprendre le rôle de Véra Clouzot. Mais en vrai, c’est pas con (elle peut tout jouer), et si le film était bien, le face-à-face entre les deux aurait pu être grandiose. Occasion manquée, c’est ballot…


Je sauve aussi la première scène du film, la meilleure. Pas qu’elle soit bien (elle est à chier, c’est un prologue inédit grossier pour s’assurer que même le plus débile des spectateurs comprenne bien qu’Adjani est cardiaque et qu’elle peut en mourir – sauf que ce prologue est ultra con puisque si le mari et la maîtresse n’avaient rien fait, Adjani serait morte, donc pourquoi lui sauver la vie pour mettre en branle deux jours plus tard un plan super compliqué pour la tuer ?), mais elle offre un full frontal d’Adjani. Je ne crache pas dessus… Dommage, il n’y en aura en revanche pas de Sharon Stone… je suppose que c’était trop demander.


Ah oui, et autre lourde idée de scénariste/réal : changer le sexe du personnage de Charles Vanel. Ca sert à quoi ? A rien, mais Kathy Bates est insupportable. Bien joué.


Et putain, j’allais oublier la (seconde, après la nouvelle fin) pire idée du film. Celle qui, en 2022, te fait dire qu’en plus d’être une merde dès sa sortie, le film a joué de malchance : le personnage de jeune réalisateur joué par un tout jeune… JJ Abrams. Déjà insupportable, déjà à claquer. L’enfer, putain…


Bref, vous l’aurez compris : Diabolique, c’est de la merde. Ca salope le film de Clouzot et se pose sans hésiter comme un bel exemple de remake de merde.


Bref, l’enfer, quoi. L’enfer de Clouzot. Le vrai.

ServalReturns
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le 11 mars 2022

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