« Deux moi » commence fort : il nous plonge sans fioritures ni consentement au cœur de la très grande ville, au plus près de ses habitants, parqués dans leurs minuscules appartements. Immédiatement, la pollution visuelle et sonore envahit l’espace : trains, bus, voitures, motos, ambulances ne nous quittent plus. Et une profonde solitude s’installe. Paris vit, avance et nous laisse de côté, sans pour autant qu’on parvienne à la détester véritablement, tant elle est chargée de promesses. Une ville qui s’organise presque exclusivement autour du travail, pour lequel tous se sacrifient.


Que de promesses, donc ! Notamment celle de décortiquer une génération citadine en proie à de fortes angoisses environnementales, sociales, éthiques, personnelles, professionnelles. Tant de pathologies capitalistes, de burn-out, bore-out, brown-out, qui nous mettent K.O et dont on ne se doute pas toujours qu’on les partage avec nombre de nos contemporains. Un quotidien épuisant, un « boulot de merde », un entretien lunaire (un poil stéréotypé, mais qui fonctionne) avec un DRH tout aussi dérouté, des somnifères, des quais de métro, des heures passées, seule dans son lit, sur des applications de rencontre. La première partie du film est donc, en un sens, réjouissante : elle présente une chronique de vie réfléchie, esthétique, dans l’air du temps, qui peut parler à tous et dont on a envie de comprendre les mécanismes.


Pourtant, brutalement, nous voilà dépossédés de ces passionnantes considérations au profit d'une seconde partie lisse et superficielle. Et cela est bien regrettable. La suite du film s’emploie en effet à trouver d’autres justifications psychologiques aux tourments des deux personnages. Celles-ci sont assez grossières : le deuil d’une petite sœur jamais accompli pour l’un, une vive et injuste rancœur pour l’autre, envers sa mère. Les deux psychothérapeutes – néanmoins sympathiques et justes dans l’interprétation, en les personnes de Camille Cottin et François Berléand – deviennent alors les protagonistes, et leurs cabinets le centre de l’intrigue, où se déclencheront simultanément des actes salvateurs pour nos deux jeunes comparses : se recueillir sur la tombe de sa sœur, et se décider enfin à appeler maman. Mouais.


Autant de schémas psychologiques et familiaux simplistes dont le traitement est bâclé et surtout sans rapport aucun avec les pistes de réflexions ouvertes au début du film. Ce constat n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’un des gros travers de « Ce qui nous lie », qui s’empêtrait dans une soporifique histoire de succession autour d’interminables débats entre les enfants, délaissant complètement certaines pistes espérées.


On se serait également bien passé de la bachata finale chez le cousin de l’épicier, mais bon, perdu pour perdu…

GuillaumeKervern
6

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le 12 sept. 2019

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