Décision de partir... voir ce film au cinéma

La figure de proue de la Nouvelle Vague Coréenne et le comparse de Bong Joon-Ho revient avec Decision to Leave après son rien de moins que chef d'œuvre Mademoiselle. Prix de la mise en scène à Cannes, est-ce que le dernier thriller du bonhomme est convaincant ?


Il serait inapproprié de dire que non. En sortant, le film m'a laissé sa petite emprunte avec une certaine timidité. C'est seulement, jours après jours, que le film a grandi en moi. Naturellement, le film m'avait feinté mais bon je commence à avoir l'habitude après Mademoiselle et OldBoy, le premier que je trouvais trop tape à l'œil avant de tomber complètement amoureux et le second que j'avais trouvé long et pénible à mon premier visionnage avant de le réestimer après un second visionnage qui m'a vraiment tabassé la gueule dès le deuxième round.

T'as capté, j'ai l'habitude de retourner quelque peu ma veste avec ses films, comme on hésite avant d'acheter un vêtement ou totalement adopter ce chat avec une patte en moins avant de penser sincèrement après quelques mois passés en sa compagnie qu'on aurait pas fait meilleur choix. Après tout, il y a que les cons qui changent pas d'avis, et ce sont mes excès de dopamines qui parlent. Nuance et objectivité quand tu nous tient, je vais doser pour rester un minimum objectif et vous expliquer par A+B comment ce film m'a séduit et surtout, pourquoi il est important de courir le voir.


Decision to Leave, ça raconte l'histoire du détective et pas moins crack ultime Hae-Joon qui enquête sur l'à priori accident qui aurait causé la mort d'un homme en montagne. La suspecte numéro un est Sore, la femme du malheureux et alors que l'enquête avance, Hae-Joon est de plus en plus attiré par la veuve.

Avec un postulat comme celui-là et la démonstration du film, impossible de ne pas penser à Vertigo ou à Basic Instinct. Reprenant la force d'attraction de la femme fatale pour miser ici sur quelque chose de plus en sensuel, jusqu'à culminer à un sommet de lascivité permis par un mood qui par instants, frôle le mysticisme (la conversation avec le chat).

Et je vous vois venir, vous auriez tort d'avoir peur de ces quelques derniers mots. Y a rien de chelou avec ce chat hein, c'est pas un film aussi taré qu'il en a l'air, au contraire, il est plutôt froid, clinique, comme l'impartialité de la situation l'exige, à savoir une enquête policière de cinéma, cependant une chaleur incandescente bouillonne dans les cœurs de notre duo de protagoniste jusqu'à éveiller une forbidden romance passionnelle et fiévreuse qui entravera le bon déroulement de cette affaire, bousculant la morale et le sens de la justice.

Ce qui épate ici, c'est de voir le niveau de soin apporté à chaque détail pour plus encore nous faire plonger dans cette spirale de sensations interdites, chaque sujet est si brillamment filmé et iconisé qu'on demeure séduit, quasiment travaillés au corps amenant séquences torrides les unes après les autres sans jamais pour autant tomber dans la démonstration de l'acte charnel ou autres fantaisies libidineuses qui ont fait tout le souffle sulfureux de Mademoiselle. Ici, une goutte de parfum glissant sur un poignet, un jeux de regard ou une phrase traduite sur Google trad équivaut à l'inaccessible image divine sur le baromètre de la sensualité des parties de jeu de jambe en l'air des productions Netflix et des sous 50 nuances de Grey (comptez 50 nuances dedans aussi mais surtout les immondes suite de After et les 365 jours) pour teen à défleurir.

Naturellement, tout ça ne marcherait pas sans la sensibilité du réalisateur qu'on ressent sur chaque photogramme dont la beauté est orgasmique. Quantité d'entre eux se travestissent brutalement en véritables peintures si bien que les VFX et les matte paintings semblent, s'il n'y en a pas, totalement ressuscités au cinéma par des images et réminiscences rappelant des estampes asiatiques, constat qu'on pouvait déjà se faire avec son affiche à la vibe papercut.


Vous l'aurez compris, Park Chan-Wook c'est toujours de très beaux plans, des mouvements de caméras spectaculaires si bien qu'on le sentirait presque nous chuchoter à l'oreille : "tu l'as vu mon plan ? Il est beau mon plan ! Puis t'as vu comment il dit des trucs mon plan ?". Constat que je faisais avec Mademoiselle étant témoin de ces plans surtravaillés avant de lâcher mes aigreurs et de les accepter, voire les ignorer pour me recentrer sur l'essentiel : ce qu'il y a dedans plus que sur le mécanisme et la manière criarde et parfois prétentieuse (il faut le dire) qui expliquerait sa conception. Il faut croire que je n'était pas le seul à stigmatiser tout son cinéma en ne ressortant de tout ça soit qu'un réalisateur du choc avec OldBoy à la violence stylisée (même si je suis en totale contradiction avec cette affirmation, je viens chercher au contraire beaucoup de sensibilité dans cette violence, une sorte d'abandon et de découragement, quand il n'y a littéralement plus que les poings pour exprimer ô combien la soif de vengeance est indescriptible quand on a passé 15 ans enfermés pour des raisons que nous ignorons, c'est pathétique, misérable, tragique et décidément pas aussi bourrin comme on a voulu nous le faire croire, y à qu'à voir la séquence phare de baston en plan séquence qui si elle est spectaculaire dans sa manière de filmer est plutôt laborieuse scénaristiquement, pas dans le sens mauvais mais dans le sens où la fatigue, l'effort et l'endurance vont s'immiscer et ralentir l'action pour se plier à une musique plaintive) ou soit un réalisateur purement stylistique.

Mais dire ça, c'est pour moi un aveu d'échec, une perméabilité sans bornes face à un cinéaste qui se sert de tout ce qu'il a en sa possession (machinerie et procédés cinématographiques) pour y injecter du sens. Dès lors, le film transpire de volonté à chaque plans et ne s'idolâtre plus comme un bel objet, plus comme un bel objet de réflexion.

Cette réflexion est frontale, tout le film, nous spectateurs, passons du côté de l'objectif de la caméra du portable, de l'œil du cadavre, nous sommes de l'autre côté de la vitre qui nous sépare de l'action, on est spectateur, spectateurs de protagonistes qui demeurent enfermés dans ce cloître, ces cadrages précis, parfois même écrasés dans des écrans.

Sauf qu'ils ne s'en rendent pas compte, puisqu'à priori, ils peuvent se mouvoir comme ils veulent. La tromperie se mue en une facilité déconcertante à progresser tout en rendant la victime toujours plus aveugle mais aguichée et persuadée de progresser comme on tend la carotte pour faire avancer l'âne. C'est pourquoi notre protagoniste aura presque l'impression de s'extirper hors de la barrière, d'être plus fin qu'elle, en se voyant par exemple être témoin d'une action dans un appartement alors qu'il observe la scène depuis l'extérieur avec ses jumelles, et donc lui aussi, comme nous, de sentir que la réflexion s'applique à sa personne (qu'il est aussi omniscient que nous, nous faisant tomber par la même occasion dans le même piège que lui en nous rapprochant de lui et en épousant son point de vue). Et le message est clair, ce que tu prends pour une force n'est qu'une fantomatique et apparente illusion, une projection astrale infondée, illusoire. Sans pour autant se surestimer, Hae-Joon tombe dans le piège, il croit tout contrôler mais il ne contrôle rien. C'est pas pour rien qu'il va se faire choper en flag juste après.

Obsessions et voyeurisme nous rappelant le maître du suspense Hitchcock (Fenêtre sur Cour) et son plus grand disciple De Palma (Obsession, Body Double) mis de côté, cet emprisonnement des protagonistes dans le cadre (et ce, même à ciel ouvert) et leurs aveuglements encouragés par un trop plein de confiance les mènera à leurs propres pertes. Voyez comment ça se finira pour notre suspecte numéro un Seo-Rae qui finira étouffée dans tous les sens du termes, par le cadrage, comme par le décor, comme par la situation, le tout sans violence aucune, avec une sensibilité et une douceur déconcertante.

Inéluctable et fataliste, le film puni clairement ses protagonistes comme dans un OldBoy, les timides gerbes de sang et le sadisme en moins, ne demeure que de la résignation.


Sauf que c'est bien beau, mais tout ça, ça veut pas dire grand chose et ça rime à rien si on n'est pas attaché à l'histoire.

Et c'est là que PCW frappe d'autant plus fort, c'est que pour aussi anti-spectaculaire que soit le film (dans le sens bourrin/action du terme qu'on pourrait attendre d'un thriller/polar), c'est un rollercoaster intimiste de sensations qui nous est proposé défiant toute morale ce qui est aux montagnes russes les lois de la gravité dont sans cesses elles s'amusent. Decision to Leave c'est un jeu de mastermind qui s'il n'est pas très subtil, tranche par son ambivalence asphyxiante (cc Basic Instinct) et l'intelligence de ses personnages. Chaque réunion est dangereuse, chaque rapprochement est une transgression (autant celle de l'homme mariée qui trompe que de la veuve en pleine planification de sépulture et on ne sait jamais vraiment si l'amour est véritable ou s'il est calculé. Cherche-t-on à tirer profit de cette romance ? Tang Wei est-elle la mante religieuse annoncées dont les deux pattes ravisseuses n'attendent que le bon moment pour fondre sur le pauvre flic benêt ? C'est tout ce qui est au programme de ce whodunnit qui n'échappe pas à sa dose journalière de course poursuite et d'action qui font plus office de truc dans la check-list que de véritables séquences tant le plus intéressant est ailleurs. Les interactions, le mystère et non plus de l'enquête mais de la fiabilité de cette romance, de la sincérité des sentiments qui nous sont démontrés, c'est ça qui nous importe. PCW nous transforme en véritables commères, impuissantes et aux premières loges. Un jeu de comédie et de comédiens troubles, des acteurs qui jouent des acteurs, une mise en abîme bien rusée pour encore plus nous titiller. Un résultat qui donne de brillantes incarnations toujours plus aidées par ces fines barrières qui nous séparent des protagonistes (dans la mise en scène par les plans subjectifs de jumelles, d'écran de téléphones et l'œil du cadavre) comme dans l'écriture, le scénario avec cette barrière de la langue, l'une est plus à l'aise avec le chinois et lui avec le coréen.

Puéril, le spectateur vient s'affoler de chaque toucher, de chaque emprunte, on devient observateur et enquêteur de cette même romance, sauf que nous, on n'a pas le statut d'inspecteur. Nous biberonnant et ne cherchant pas la pirouette scénaristique, il nous balade comme son prota, tous les deux sujets de son expérience. Ce qui nous attrape, c'est cette proximité déjà énoncée avec l'écran, tout nous est accessible, l'information. Communiquée par les écrans, par les gros plans, par les fusils de Tchekhov, tout est à notre disposition pour qu'on fasse notre propre tambouille. Au plus proche des détails, au plus proche de la chair, on est aussi excité que l'enquêteur qui se rapproche de la vérité, liant ces deux percepts de l'enquêteur et du spectateur comme tous deux entités qui pensent, qui recherchent, qui sont animés par la soif de savoir, pour débusquer, démasquer, trouver la vérité. Tactile jusqu'à en sentir les doigts tapés sur la surface de la caméra en plans subjectif de l'intérieur d'un smartphone, PCW repousse les limites de l'identification et de l'immersion nous faisant accepter une brusque ellipse qui scinde le film en deux faces d'une même pièce, un classé sans suites avant de repartir sur les mêmes rails pour un come back similaire à un gamer qui reviendrait sur un boss d'Elden Ring après s'être déjà fait refaire le fion, ayant appris de ses erreurs. Choix étonnant qui s'il paraît décousu, tient plus du test que du caprice. Pour autant et contrairement à ce qui se dit, Decision to Leave, n'est je pense, ni le plus froid ni le plus mal aimable de la filmographie de PCW, j'irais même jusqu'à dire que c'est une de ses films les plus accessible. Je pense qu'encore une fois, c'est une image de façade dont on doit s'affranchir en franchissant très justement la barrière.

On ressort heureux et satisfait de l'expérience, d'avoir eu la réponse à la question qui nous brûlait les lèvres, car pas sadique pour un sous et sachant ce que la préparation paiement vaut, PCW nous console comme il peut.


D'apparence aussi juvénile que deux ados prépubères qui se cherchent en se taquinant, PCW transforme son Decision to Leave en un monument de sensualité et de tension amoureuse, qui vient questionner et remettre à sa place un spectateur beaucoup trop investi. Réflexivité, apparences et voyeurisme sont au programme d'un film tactile, qui de là d'où naît tout, transcende sa mise en scène chirurgicale pour mieux éplucher la nature humaine, quitte à laisser certains en dehors.

Smathy
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le 16 juil. 2022

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