M'aimes-tu ou fais-tu semblant ? Et mérites-tu mon amour ?

Grand coup de coeur de ma part pour ce onzième opus de Park Chan-Wook, sorti après six ans de silence. Le réalisateur coréen a pris son temps pour concocter son film, mais il ne s'est pas loupé.

Le scénario, co-écrit avec la scénariste déjà impliquée dans Lady Vengeance et Mademoiselle, est très travaillé, avec un rare souci du détail. Cela s'apparente vaguement à un Vertigo hitchcockien qu'on aurait revu et adapté dans une perspective et esthétique extrême-orientales. L'inspecteur qui, avec son adjoint, enquête sur un accident mortel ressent une vive attirance pour la principale suspecte, la jeune et très jolie femme du disparu. Elle a beau avoir un solide alibi, un certain nombre d'éléments jouent en sa défaveur. L'inspecteur se met donc à la surveiller, jour et nuit et, bien que marié, s'éprend d'elle. Et l'enquête policière se double donc petit à petit d'une histoire d'amour, jusqu'à ce que celle-ci prenne, pour un temps, quasiment toute la place. Mais il y a des retournements de situation, des coups de théâtre. Le scénario est tout sauf un long fleuve tranquille ; à la base, c'est une histoire policière, compliquée d'une histoire d'amour ; la structure en est assez alambiquée, et quelques secondes d'inattention peuvent suffire à en faire perdre le fil. Comme l'inspecteur du film, on peut parfois marcher "dans la brume" (une chanson très exploitée dans le métrage), mais on finit toujours par s'y retrouver et ça fait partie du charme de l'oeuvre. Il vaut mieux quand même rester sur le qui-vive pendant les deux premières heures du métrage, car l'intrigue, ça a été beaucoup dit, est retorse et sophistiquée. Elle est (et ça rappelle aussi Vertigo) en deux parties, avec un intervalle de treize mois entre elles... qui passe en une seconde, la deuxième paraissant peut-être un peu plus tirée par les cheveux que la première. La romance entre l'inspecteur (qui, entre-temps, a changé de juridiction : de Busan, il s'est fait muter à Ipo, deux villes côtières de Corée du Sud) et la jeune femme se réanime instantanément à l'occasion de nouvelles péripéties. Et le réalisateur nous offre un final superbe d'une quinzaine de minutes, qu'il est difficile de se retirer de l'esprit et de la mémoire. Au total, une exquise merveille de 138 minutes qui passent comme un rêve.

Pour résumer, on dira d'elle que c'est une histoire de crimes et d'amour (fatal ?) magnifiquement mise en scène.

Tang Wei incarne Song Sore (en phonétique coréenne : Soré-Ché), une jeune femme très jolie, très charmante, d'une douceur ensorcelante, doublée d'une personne mystérieuse ayant de la trempe, du caractère. L'actrice est exceptionnellement bonne dans le rôle. Le couple qu'elle forme avec Park Hae-iL / "l'inspecteur", fonctionne super bien. Les deux portent le film sur leurs épaules, mais ils sont aidés en cela par une petite dizaine de personnages secondaires qui sont très bons aussi, très bien dirigés et intéressants.

D'après la définition que Larousse donne de "femme fatale" : femme d'une beauté irrésistible, qui semble envoyée par le destin pour perdre ceux qui s'en éprennent, pour moi Song Sore (Soré-Ché) n'est pas une femme fatale, elle est... autre chose. Vous en jugerez vous-même.

Au vu du film, il y a un certain nombre de questions sur les actions, motivations ou sentiments des personnages, auxquelles on peut répondre en temps que spectateur, sans qu'eux le puissent parce qu'on bénéficie d'informations qu'eux n'ont pas forcément. Parmi celles que se pose l'inspecteur sur la suspecte Soré-Ché, il y a notamment celles que j'utilise comme titre de ma critique. On peut dire que le chat tombe amoureux de la souris ; se demander si c'est réciproque, ou si le film est la peinture d'un amour impossible ayant un début et une fin comme toutes choses... à moins que le vrai grand amour ne soit éternel ?

La mise en scène du film a été récompensée à Cannes en mai dernier. Les extérieurs (montagne ou mer) sont souvent très beaux, les intérieurs la plupart du temps très raffinés.

La bande son est intéressante, romantique en diable et sait au besoin suppléer les mots.

Quant au final, il est, encore une fois, magnifique, d'un romantisme échevelé... et là, Park Hae-iL en inspecteur amoureux de celle qui lui échappe sans cesse, est vraiment très bon, émouvant.

Car Soré-Ché veut rester une histoire non-élucidée, qu'il continue d'enquêter et de n'être sûr de rien, sinon qu'il l'aime plus que tout.

Conclusion. Sur un scénario intrigant, très travaillé et un peu tiré par les cheveux, un film superbement casté, réalisé de main de maître et qui m'a plu infiniment.

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le 25 juil. 2022

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Fleming

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