De son vivant par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Critique éditée le 8 septembre 2022

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Benjamin, bientôt la quarantaine, est un jeune professeur d'art dramatique aimant avec passion son métier et semblant être apprécié de ses élèves. Il n'a que sa mère, Crystal, très intrusive et souvent agaçante, dans son entourage familial et un enfant qu'il refuse de reconnaître.

Tout irait néanmoins pour le mieux dans la vie de Benjamin si ses douleurs de dos ne le tracassaient pas un peu. Un rendez-vous important est conclu. Il se rend avec sa mère à l'hôpital. A la suite d'une batterie d'examens le verdict alarmant du Docteur Eddé, cancérologue, tombe aussi brutalement qu'un coup de massue: "cancer du pancréas de phase 4". Il ne reste à Benjamin qu'un an à vivre sans trop souffrir tout au moins de la douleur corporelle du "crabe". Le praticien a fait le choix de dire toute la vérité à son patient afin de mieux l'accompagner en lui disant les mots justes pour instaurer une confiance réciproque mais aussi une amitié entre les deux hommes.

Chacun peut avoir une réaction différente lorsque ce genre de situation malheureusement se précise. Benjamin va vivre quatre saisons durant lesquelles il va subir des soins intensifs en attendant la faucheuse qui finira par l'emporter.

Les pensées se cristallisent également sur le bilan d'une vie tellement courte que le malade remonte le fil du temps en se repassant tel un film les bons et les mauvais souvenirs. On en analyse les détails et certains prennent une importance suprême. Dans la solitude, le silence est seulement rompu par le bruit des machines qui prolongent la vie et contiennent la douleur, sauf celle du cœur et de l'âme. On pense et on rumine.

Il y a les amis qui viennent atténuer les regrets de Benjamin de n'avoir pas tout à fait rempli sa mission, lui pour qui il restait encore beaucoup de temps pour profiter d'une vie qui lui échappe comme du sable fin s'échappant entre les doigts. Les copains avec leurs chansons et leurs guitares lui arrachent encore de légers souvenirs et le personnel du service arrive, souriant et rassurant, pour quelques instants de "détente". L'équipe médicale sur le qui vive permanent et qui soutient Benjamin jusqu'à son dernier souffle est admirable à l'image d'Eugénie qui offre toute son affection à ce malade recevant ses derniers baisers.

Puis vient le moment où le Docteur Eddé et son équipe sentent qu'ils ne pourront pas tenir longtemps la douleur à l'écart. Il est alors temps de parler avec Crystal du dénouement, le droit de mourir dans la dignité en s'endormant doucement pour l'éternité. C'est bien sûr un déchirement pour une mère qui maintenant est certaine que dans un temps très court son fils ne sera accessible que par la pensée, les souvenirs qui reviendront en boucle et toujours cette question : a t-il été heureux de sa vie ? a t-il gardé des rancœurs ou les a t-il pardonnées ?

Dans ces moments le chagrin se mêle au recueillement et à la réflexion. Ce drame me ramène à une image personnelle où je compare la vie à un petit train tantôt calme sur son parcours au milieu de la nature, parfois chahutée par des virages, des aiguillages qui le mènent vers la bonne direction. A un moment le petit train ralentit, le paysage est assombri par des murs de chaque côté de la voie et là tout devient noir, il entre sous un tunnel. En sortira t-il ? Nul ne connaissant vraiment sa destinée après la mort, le film n'est-il pas conçu pour nous faire réfléchir devant son miroir?

Emmanuelle Bercot nous emmène ici dans une œuvre d'une extrême complexité d'analyse au seuil de la mort. Les réflexions, les réactions sont multiples mais celles-ci m'ont paru très juste. La réalisatrice a le grand mérite de ne pas vraiment nous emmener dans une fiction dans le but de nous tirer les larmes.

Il est bien rare de pouvoir cacher son chagrin en assistant au départ d'un être cher et ici Benoît Magimel fait preuve d'un immense talent en nous faisant partager les quatre dernières saisons de Benjamin qui auront terminé sa carrière "d'acteur raté" comme il disait un an plus tôt en faisant interpréter à ses élèves une scène d' "Andromaque" de Racine. Benoît Magimel a d'ailleurs remporté un" César" pour cette interprétation pleine de sobriété. Du grand art.

Catherine Deneuve interprète Crystal, une mère parfois abusive c'est vrai, mais seule avec son fils qu'elle protège peut-être maladroitement à cause de cet amour maternel qu'elle lui porte. Il faut noter que l'actrice a été victime d'un grave problème de santé obligeant l'arrêt du tournage durant un certain temps. Malgré cette épreuve nous la retrouvons ici, comme à son habitude, dans une merveilleuse interprétation soulevant une forte émotion.

Gabriel Sara, le Docteur Eddé, obtient son premier rôle au cinéma et pour cause, c'est un oncologue-hématologue reconnu libanais. C'est donc vraiment à un spécialiste de la maladie en question auquel la réalisatrice a confié le rôle de ce Chef de Service chargé avec son équipe de gérer le problème de Benjamin.

C'est une réussite totale pour notre perception sur la vie d'un tel service hospitalier et cela donne une ampleur vraiment véridique à ses rapports avec les patients en fin de vie. Il a le don de beaucoup dialoguer et "entourer" le malade grâce à ses connaissances dans le domaine du cancer.

Cécile de France en infirmière apporte énormément dans ce rôle qu'elle interprète avec une grande justesse, cachant son émotion par la douceur et des propos apaisants. Elle est un "ange gardien" pour Benjamin lui permettant de passer ce cap avec plus de sérénité.

Tous les autres personnages sont à leur place, rien n'est artificiel, rien n'est surjoué, c'est vraiment la distribution idéale pour un tel film.

Merci à Emmanuelle Bercot pour nous avoir emmenés dans ce service spécialisé à l'hôpital de Garge-lès-Gonnesse afin de nous plonger dans un moment inoubliable à plus d'un titre. Cette œuvre fut présentée "hors compétition au Festival de Cannes 2021" et obtint un franc succès hautement mérité auprès des festivaliers.

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Box-Office France: 166 244 entrées

Ma note: 9/10

Créée

le 17 déc. 2023

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