Ce que j'adore avec Bonello, c'est qu'il est toujours à la limite, celle de rater son film mais que, sans trop savoir pourquoi, il est parvenu, en deux films, à me hanter, à me toucher véritablement. S'intéressant à ces endroits clos (je pense aussi à "L'apollonide ...") rompus au seul désir, à la limite d'être des sectes (bon ici peut-être un peu beaucoup quand même), il distille ce besoin de se retirer du monde en se croyant libre alors même qu'on est enfermé dans une croyance absurde, allant au delà de ces limites même sans vraiment comprendre ce qui se passe.

Oui, ce film peut paraître ridicule à certains moments mais je l'ai trouvé simplement beau parce qu'il donne à voir un être (Mathieu Amalric et son air badaud) un peu dingue au départ, réalisateur en panne (un genre de double de Bonello- le dit personnage se prénommant Bertrand- ?) qui va vivre une expérience un peu étrange, rester enfermé une nuit entière dans un cercueil, et cherchera par tous les moyens à retrouver la sensation d'apaisement vécue dans le noir de la boite de mort.

Il débarque alors dans ce lieu étrange, ni tout à fait un bordel sexuel, ni tout à fait une maison de repos ("quand on ne joui pas, on se repose"), il va expérimenter la transe, les lectures pornographiques et la guerre. Une sorte de guerre physique, psychique et animale pour soi disant accéder à l'état suprême qui permet d'atteindre le plaisir, de se croire heureux même en pleurs mais surtout le droit de se perdre totalement.

Bonello prend le temps de filmer cet endroit retiré du monde, avec ses codes précis, qui se veut un après société mais qui en même temps a besoin de l'argent de ses membres pour survivre, un genre de lieu contradictoire, où la force réside dans la croyance en un prophète étrange, en des meurtres symboliques. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris et en même temps, ça n'est certainement pas le but. L'important c'est le regard que l'on porte sur toutes ces idées et phrases (pseudo) psychologiques que prononcent les membres de cette communauté sauvage et civilisée à la fois, où l'on est dans l'attente d'un meilleur moment, où le corps redevient l'élément principal, le moment de "l'existence pure". Pour nous guider, deux regards, celui de Bertrand qui arrive là et se laisse embarquer et plus tard celui de sa "compagne" (belle scène dans le magasin de disques), la toujours aussi fragile et touchante Clotilde Hesme, celle qui voudrait bien former "un couple extraordinaire" mais qui sait aussi que la vie peut être banale et s'en accommode.

Il n'est pas dit finalement ce que pense vraiment Bonello de cet endroit étrange, frissonnant, qui donne à voir ce que c'est qu'être là, une chose est sûr il veut étudier ces corps alanguis, ces corps qui attendent, sensuels, destitués du monde tout en laissant l'appel de la ville se faire entendre. Il porte sur lui et la société un regard à part, contemplatif, celui de ceux qui s’en sentent rejetés. Il y a peur et doute pour le spectateur qui se mêlent pendant le film.

Ce film est un parcours initiatique, il faut se laisser aller dans un état particulier pour bien le vivre. Une expérience sensorielle et psychique pour laquelle il faut accepter de ne pas être juge mais témoin d'un état de la vie... Bonello, tu me fascines, tout autant que tu es toujours à la limite de m'agacer !
eloch

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