Comme bon nombre d'amateurs de Tim Burton, c'est avec une certaine appréhension que je suis allée voir Dark Shadows. Après la terrible déception engendrée par Alice au pays des merveilles, je m'y rendais assez mitigée mais neutre, dans l'optique du " on verra bien ".

Je ne connaissais pas la série d'origine, je ne m'attendais donc à rien de particulier pour ce film et ne participerai de fait pas au débat quant à la fidélité ou non à l'œuvre originale en ajoutant une superbe problématique sur la transposition d'une série télévisée à un long métrage. (Ce qui est dommage, certes.)

J'ai vu Dark Shadows en VO dans une salle plus que bondée, et j'en suis ressortie toute aussi mitigée que lorsque j'y suis entrée. Se mêlaient dans ma tête de bons points, voire de très bons points, à des éléments laissant à désirer ou qui m'ont même dérangé. Etant ma foi incapable de dire si j'avais apprécié ce film ou non, je me suis décidée à retourner le voir, cette fois dans une salle quasiment vide et en VF (où j'ai eu le plaisir de retrouver la voix d'Eva Green).

Au premier abord, voilà ce qui ressort grossièrement de ce film : un gros mélange de créatures légendaires (sorcières, fantômes, vampires et - WTF ? - loup-garous) baignant dans un univers très coloré et très 70's.

Évidemment, pour qui veut du Tim Burton, il faut savoir repérer où sa main se cache dans le film. Mention spéciale au plan au début du film où l'on voit le père de Barnabas qui lui parle, où la luminosité nous rappelle Sleepy Hollow. On y retrouve cette alliance de morbide avec des couleurs vives (justifiées ici par l'encrage temporel), ainsi qu'une place très grande accordée à la famille. Du reste... Ben pas tellement.

Étant un élément particulièrement important dans l'œuvre de Tim Burton, il me faut évoquer la musique, qui parvient le plus souvent à donner cette ambiance si particulière à ses films. On nous annonce dès le générique la collaboration avec Danny Elfman... mais sur un fond de musique 70. Ca annonçait pas mal la suite. J'approuve entièrement la présence de ce rock typique dans le film, qui permet de bien faire ressentir l'époque mais malheureusement, cette musique éclipse - à mon goût - celle de Danny Elfman, et nous prive ainsi de belles ambiances. C'est vraiment dommage.

Continuons sur ce qui ne va pas non plus dans le film : les personnages. Si certains sont relativement bien exploités - je pense bien évidemment à Angélique, mais j'y reviendrais bien plus largement par la suite, ou encore à Vicky/Josette - d'autres, à mon sens, ne le sont pas assez, et remettent en cause leur présence. Je pense notamment à David Collins et à sa mère, qui, quitte à parler fantôme, devrait être plus présente, une petite scène de son décès n'aurait pas été de trop, je pense. Son père, Roger, me laisse également perplexe, oscillant entre trop présent et pas assez. Ma plus grande déception revient au docteur Hoffman, interprétée par Helena Bonham Carter. Je ne suis pas foncièrement contre sa présence dans les films de son très cher époux - j'aime beaucoup cette actrice -, et d'ailleurs, son rôle dans Alice au pays des merveilles était un des rares à sauver de ce naufrage cinématographique, mais là... Non. Une femme inutile à moitié alcoolique, au potentiel humoristique non exploité, reprenant le mythe de la femme qui veut rester éternellement jeune et belle, angoisse de la vieillesse et de la décrépitude, bla bla bla. Sans forcément décoller, et tombant par moment dans le scabreux (si la scène de la fellation peut paraître drôle, elle n'est en rien justifiée et semble devoir être analysée sérieusement par des psychanalystes), Tim Burton nous offrait un personnage assez vif mais dont il ne se sert pas, et qu'il préfère tuer bien vite, preuve, de fait, de son inutilité dans le scénario.

Sur ce dernier je reste également mitigée, et ne pouvant juger sur l'adaptation de la série, je m'en tiendrai qu'à ce film seul. Il y a de bons éléments, de très bons, la vengeance d'un amour bafoué, le combat acharné d'une famille qui veut récupérer son empire, une famille détruite par la malédiction, une jeune femme hantée étrangement par un fantôme d'elle-même, un vampire projeté deux siècles hors du sien... Soit. Mais l'imbrication de tout cela semble un peu bancal et nous offre le spectacle d'une toile aux coutures apparentes. Si c'était l'objectif, c'est réussi, mais ça n'en laisse pas moins perplexe. Le souci étant qu'on nous offre des pistes, des intrigues secondaires, mais qui sont effacées, occultées par celle principale qui est et reste la vengeance d'Angélique.

Autre point, l'humour. Si la situation d'une personne d'un autre siècle confronté trop brutalement à la réalité et à la technologie reste le plus souvent drôle, elle n'en n'est pas moins terriblement banale, et exploitée à foison. Même si ici notre cher Barnabas nous offre des sourires, je pense que certaines dimensions auraient méritées d'être davantage mises en avant au détriment d'autres. Oui, les lumières nocturnes font peur, oui les voitures sont effrayantes. Les scènes les plus drôles à ce sujet - à mon sens - restent celles qui concernent les mœurs, offrant ce me semble un peu plus d'épaisseur à la réflexion. Un petit plus quand même à l'intervention des hippies qui quoique facile et potentiellement attendue marche toujours. Quoi qu'il en soit, peut mieux faire.

Et enfin, le pire selon moi... Carolyn qui se transforme en loup-garou. Une seule question : POURQUOI ? Ca arrive comme un vulgaire cheveux sur la soupe, seulement justifié par la malédiction jetée sur la famille Collins par Angélique qui explique juste avoir envoyé un loup-garou mordre la gamine au berceau. Ca n'enlève pas le fait qu'on ne nous parle pas une seule fois de loup-garou dans le film, mis à part là. A mon sens, c'est juste de trop, et relève selon moi un peu beaucoup trop d'une convention sociale actuelle visant à mettre un loup-garou là où il y a un vampire. C'est assez pathétique. Encore une fois, je laisserai vaguement le bénéfice du doute quant à l'adaptation de la série télévisée, mais pour qui ne la connait pas, ce passage est absolument absurde et particulièrement injustifié.

Voilà donc pour ce qui ne va pas. Je vais vous expliquer maintenant ce qui relève à mon sens tout le film, et occulte ses nombreux défauts.

Le traitement de Josette/Victoria : Une histoire d'amour, de vie antérieure, de réincarnation, de fantôme... Ca c'est beau. Ce personnage nous offre de beaux et bouleversants moments. Les interventions du fantôme de Josette sont visuellement belles, lorsqu'elle se jette dans le vide depuis le lustre du salon, où encore lorsqu'elle joue avec la petite Vicky ou quand elle est enfermée avec elle dans sa prison capitonnée. Tim Burton nous offre un personnage beau, pur, et dont l'horrible enfance bouleverse, pointant du doigt l'incompréhension des parents face à l'imagination des enfants, eux qui crient à la folie tout de suite. On y retrouve d'ailleurs une certaine analogie entre la petite et David, que Carolyn traite de fou sous prétexte qu'il dit parler à sa défunte mère et qui lui refuse toute légitimité et tout droit à l'accès à un monde intérieur et réconfortant, quoique morbide, thématique chère ce me semble à Burton. Bien qu'elle soit l'image de la victime même qui n'a rien demandé à personne, (peut-être ainsi trop gentille et trop innocente), elle reste un personnage très attachant, et artistiquement beau. Mention toute spéciale à l'image de fin, où, transformée en vampire, elle n'est pas sans rappeler la vision magnifique d'Emily, des Noces Funèbres, nous offrant ainsi une superbe image comme seul Burton peut nous offrir.

La thématique de l'eau : ce film baigne dans l'eau. On nous parle d'un port, de poissons, de marre (métaphores d'Angélique), de la mort de la mère de David, on nous montre des bateaux, et une falaise, d'où se jettent Josette, puis Vicky. Certes de manière peu subtile, Burton, en multipliant les plans où on peut voir l'eau claquer violemment sur les rochers sous la falaise, nous annonce un dénouement, ou du moins nous fait comprendre que l'histoire se finira là. Ces rochers semblent également être très importants dans la relation entre Vicky et Barnabas, qui ayant pourtant perdu son amour à cet endroit précis, amène régulièrement ce qu'il a de plus cher, à savoir sa descendance (David) et Vicky, témoignant peut-être d'une volonté de retrouver ce qu'il a perdu là où justement il l'a perdu. Frontière également entre la vie et la mort, avec l'eau, ces rochers où s'écrasent les vagues leur offrent un "entre-monde", où tout est possible et où Barnabas ne semble rien craindre.

Le traitement d'Angélique Bouchard : Ah... Mon coup de coeur. A elle seule, elle justifie l'existence de ce film. Superbement interprétée par Eva Green, Angélique Bouchard nous offre le rôle de la méchante, de la sorcière, dont le cœur a été brisé et qui à défaut de panser ses blessures cherche à détruire. Par où commencer ? Elle est omniprésente dans le film. On la voit enfant, puis servante, en brune, et enfin en blonde platine, resplendissante. On la retrouve dans des tableaux, ainsi que sur la sculpture du bateau de la première scène. Rayonnante, elle nous offre un sourire rouge et assez effrayant, redoutable. J'apprécie les codes couleurs qui sont les siens, toujours vêtues de bleu foncé avec une touche de rouge (sur ses lèvres, dans la doublure de sa robe, dans ses sous-vêtements de dentelle, dans sa robe de soirée également, qu'on peut admirer à l'exposition à la Cinémathèque, par ailleurs...) et qui lui vont à merveille. Elle est l'image de la femme fatale à laquelle personne ne résiste, et qui fait marcher le monde avec le bout de son nez. De la lueur dans ses yeux au timbre particulier de sa voix, Eva Green me semble être parfaite dans ce rôle. Mais ce n'est pas le plus merveilleux encore à mes yeux. Quel ravissement est-ce de la voir présentée comme une poupée de porcelaine ! A sa première fissure en apercevant Barnabas embrasser Vicky, avec ce bruit caractéristique de porcelaine qui se brise, j'ai été artistiquement transcendée. Oui, n'ayons pas peur des mots. Par la suite, à chaque coup qu'elle reçoit, elle se fissure encore plus, se brise en morceaux, offrant le spectacle d'un corps vide, animé, sa démarche et ses mouvements se font poupons, avec ce bruit délectable terriblement évocateur et fidèle. Effrayante et sublime, elle nous offre le cauchemar de nombreux d'entre nous qui sont effrayés par les poupées de porcelaine, déguisée ici sous les traits d'une sublime beauté fatale, et ce jusque dans la mort, démantibulée. Sa mort sublime, emmêlée dans le lustre tombé, occulte le regret de son décès justement, et offre un final à la juste hauteur de ce personnage.

Enfin, je ferais une mention toute spéciale à Michèle Pfeiffer, que je trouve resplendissante dans ce film, et qui tient à merveille son rôle de matriarche.

En somme, loin d'être le meilleur film de Tim Burton (j'ai un terrible faible pour Sleepy Hollow), il n'est pas non plus le plus mauvais. Evidemment, il y aurait encore beaucoup à signaler, les tableaux qui saignent qui rappellent un peu beaucoup trop La Reine des Damnés, le superbe manoir comme je veux, ou encore la prestation d'Alice Cooper, mais on n'a qu'une vie, et je n'écris pas une thèse.

Dark Shadows échappe à la perfection par des éléments que je juge vraiment dommage voire navrant, mais se rattrape en nous offrant de véritable perles artistiques dont je saurais me délecter encore longtemps. On passe tout de même un bon moment devant ce film, et ce dernier saura rejoindre ma collection dès sa sortie en DVD.

Créée

le 8 juin 2012

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FlorianneB

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