Le dernier film du muet ? Conservé miraculeusement et admirablement restauré : les critiques en disaient du bien, mais ce fut un bide commercial... Car sorti concurremment avec des films parlants.
Quand on découvre le préambule de ce film, le générique nous révèle ce texte retraçant l'histoire de sa résurrection. Probablement un miracle : le dernier de la série des muets, réalisé par un autodidacte qui l'a créé de bric et de broc : Charles Vanel qui fera la carrière que l'on sait, comme comédien. En voici le texte...
"Une restauration conduite par "l'Institut Lumière" et effectuée par "Éclair Classic" avec le soutien du CNC. Avec la participation exceptionnelle de "Chanel".
A la fin des années 1920, alors que le muet atteint son apogée, l'acteur Charles Vanel 37 ans, décide de réaliser son premier long-métrage. Il écrit une histoire qui se déroule à Jujurieux dans l'Ain, près de Lyon où son père est originaire. Il jouera avec Sandra Milowanoff, sa partenaire de "Pêcheur d'Islande" réalisé par Jacques de Baroncelli en 1924.
Charles Vanel finance lui-même avec le producteur Sernand Weil qui s'aide d'une quarantaine d'exploitants.
Tourner en studio est trop coûteux. Le film se fera en décors naturels et souvent en extérieurs pendant l'été 1929 avec les gens du pays.
Terminé en 1930, "Dans la nuit" est projeté à la Presse en février : les réactions sont élogieuses.
Mais les exploitants qui ont d'autres films à sortir ne le proposent au public que le 16.05.0930.
Or, c’est la fin du cinéma muet, le parlant envahissant le cinéma français. « Dans la nuit » quitte rapidement l’affiche et disparaît des mémoires…
Projeté à de rares reprises ces trois dernières décennies, le film dont le matériel a été sauvé par la Cinémathèque française n’avait jamais été restauré. Peut-être le dernier film muet français...
En 2021 grâce à un plan de sauvegarde des films anciens du CNC. l’Institut Lumière à qui Charles Vanel avait confié ses droits, a entrepris au laboratoire Eclair Classics la restauration numérique 4 K du film et le retour sur pellicule 35 mm."²
Une page d'histoire se tournait. Du patrimoine cinématographique aussi...
Je me garderai bien de noter ce film autrement qu'avec neutralité : authentique témoignage du passé voyant l'agonie du cinéma muet, il actait l'éviction de nombres d'acteurs, et pianistes qui égayaient de leur doigté la vision des films... Ma prof de musique en était d'ailleurs issue et de celles qui avaient dû se reconvertir en "télétravail" à domicile et avec leur instrument !
De profundis...
Ce film est un donc du genre "monument historique", mais j'ai beau aimer la carrière prestigieuse de Charles Vanel, ce film est à l'écran ce qu'une Delahaye est à une Tesla... Dépassé...
Tout est mauvais : les enchaînements de plans, les vues inutiles (...) Je ne parle pas du crin-crin rajouté sur le plan sonore qui est encore plus effroyable. Contrairement à l'image dont la restauration est un bijou du savoir-faire de ses auteurs. Chapeau bas : on le croirait sorti de fabrication !
Côté histoire, Vanel n'a pas inventé le fil à couper le beurre et n'est pas Zola : c'est l'histoire d'un tailleur de pierres qui se marie avant d'être victime d'un accident du travail au cours d'une explosion minière provoquée. Il est défiguré, doit porter un masque type Halloween, et n'attire plus sexuellement sa femme qui va se consoler dans les bras des jambes d'un autre type... qui lui aussi revêt le masque de rechange, pour corser l'histoire... car l'un des deux va mourir : le vrai ou le faux ?
La fin est du genre "gadget" utilisé quand on ne sait trop comment finir un récit comme ça la morale est sauve et pas de problèmes avec la censure...
Le casting se réduit à sa plus simple expression et on suit ce "muet" sans être captivés par le récit gâtés que nous sommes par les projections de qualité de notre époque, et d'un son plus bruyant que si tout un orchestre était dans la salle de cinéma. Et pourtant, ce muet n'est pas lassant à voir, probablement à cause (grâce à) de tous ses extérieurs...
On commence avec un mariage "expédié" vers la foire aux manèges dont les "métiers" d'antan comme ceux dits "à chaînes"...
On découvre aussi le dur métier d'extraction des pierres (cariste), les moyens de transports rudimentaires : un cheval qui tire des wagonnets miniers Decauville, à bord desquels les voyageurs montent en marche et s’entassent gratos... On dirait presque les actualités "Pathé"quand les séances de cinéma étaient en deux parties, avec entracte entre la mise en bouche "actualités/ documentaire" et le "grand film" proposé !
Pause bienvenue où on pouvait se désaltérer, bavarder au comptoir-buvette de la salle, laquelle jouxtait parfois un café...
Seule réalisation de Vanel ? Non : en 1931, il tourne encore un court métrage, "Affaire classée" ressorti en 1935 sous le titre "Le Coup de minuit". Si j'en crois Télérama, Vanel conclut de sa première expérience : "Si la dépense d'énergie d'un acteur est celle d'un enfant, celle d'un metteur en scène est celle d'un adulte !"
Charles Vanel (1892-1989) commence sa carrière cinématographique en 1910 et la termine en 1988 durant laquelle sa longévité lui aura permis de jouer plus dans deux cents films... Il découvre Paris à 12 ans mais se fait virer de toutes les écoles qu'il fréquente et n'aura pas une enfance heureuse... D'où peut-être son impression de tristesse ou d'angoisse constantes, et sa prédisposition naturelle à briller dans les tragédies ou drames où il excellait...
Il tenta de s'engager dans la marine : elle n'en voulut pas à l'époque pour ses problèmes de vue.
Il affronta alors le théâtre avant le cinéma. Durant la première guerre mondiale, il fut mobilisé en 1915 avant d'être réformé pour "troubles mentaux"...
Un homme discret, voire effacé, peu médiatisé, à la voix inimitable et qu'on reconnaissait dès qu'on l'entendait, et qui le prédisposait aux voxographies... Quelle brillante carrière !
France 3 le 20.10.2023-