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Le Bon, Le Beau et les Parfaits sont dans une jungle.

Dans une énième proposition portant sur la cause afro-américaine, Spike Lee nous déclame dans cette production de 2020 une oeuvre qui accuse. Au cœur des rizières et des jungles du Vietnam, Lee dévore une fois de plus une Amérique dans l'abandon de sa population, qu'il décrit une nouvelle fois comme ostracisée, diminuée, mais cependant supérieure. Il ne s'agit pas dans ce film de porter un regard social sur la place du noir en Amérique, mais bien d'ériger un monument aux martyres afin que tout événement rattaché de près ou de loin au peuple noir soit sanctifié et jugé comme un esclavage moderne. Ainsi, dans un film abordant le soldat noir dans une guerre 100% politique, Lee touche, raccroche et lie tant bien que mal la politique destructrice d'une Amérique de l'époque au racisme ambiant qui y régnait.


Le film détient pourtant en lui une œuvre majeure dans le genre. Dans sa composition en 3 axes d'abord où Lee s'amuse avec les temporalités, les points de vue et surtout les souvenirs. Alliant un jeu d'optique adapté, il n'est pas rare de passer d'un cadre aéré où se baladent des vieux frères d’armes à des flash-back serrés de la guerre. Entre-coupé par ailleurs d'archives audio, photos et vidéos, Lee intègre son film dans le réel, plante le décor d'une rébellion noire en Amérique, et use des grands discours inspirants de ses meneurs pour orienter le film dans la direction qu'il souhaite. L'œuvre fonctionne dans sa construction et on aura aucun mal à reconnaître le talent qu'il a à mettre en scène de manière très imagée ce qu'il veut faire passer. L'image et plus particulièrement la photographie n'ont pas grand-chose d'extraordinaire si ce n'est d'avoir ajusté les couleurs chaudes vers le haut, soulignant ainsi la personne noire de ce décor vert et froid de la jungle.


Là où le film dérape et sonne comme un pétard mouillé, c'est qu'il ne sait pas quoi dire ni comment le dire. On comprend bien qu'être noir est au centre du sujet et pourtant, un grand nombre de problèmes se posent dans ce contexte de guerre du Vietnam :


- Est-ce que noir signifie forcément adhérer à ces valeurs progressistes ? Comme le montre certains extrais, un bon nombre de noirs ont voté Trump aux dernières élections, ce que Lee note comme une trahison voir une honte pour son peuple. Il nous gratifie presque d'un " tu n'es plus notre frère " à ces votant, n'hésitant pas par ailleurs à les afficher avec des photos. Si des personnes noires se sont reconnues dans Trump, est-ce que finalement le problème ne résiderait pas dans autre chose qui dépasse la couleur ? La réflexion de Lee ne dépassera pas la couleur.


- Auquel cas si beaucoup de noir pour ne pas dire tous adhèrent à ces idées, est ce que le milieu de la guerre et de l'horreur est un lieu intelligible pour méditer et cogiter sur la société ? Même en temps de guerre, dans un moment où un ennemi peut surgir n'importe quand ; dans un lieu où mines, pièges et armes américaines tuent et broient de l'intérieur, Spike Lee nous laisse entendre que le combat noir est tellement plus important et marquant qu'il dépasse la vie elle-même. Ce combat est tel qu'il permet à des hommes de taper la discussion et d'empêcher la peur de se déclencher dans une vraie guerre, comme si finalement le Vietnam était en permanence chez eux en Amérique tant la vie y est dure.


- Le fait est par ailleurs qu’une guerre touche à priori tout le monde de la même manière n'aide pas Lee à défendre son propos. C'est d'autant plus vrai que d'une part, la guerre du Vietnam a été vivement critiquée comme étant purement politique et dévastatrice tant pour le pays accueillant le conflit que pour les Américains envoyés au casse-pipe. D'autre part, malgré une statistique sortant du cul pour dénombrer le nombre d'Afro-américains dans la population américaine ( 11% ) et leur nombre parmi les soldats ( 38% ), il n'est en rien fait sujet et preuve du racisme dans le recrutement ou l’armée. Si effectivement des droits devaient être accordés par la suite à l'issue de la guerre, si effectivement une lutte de dédiscrimination avait débutée dans l'institution de l'armée, cela n'a pas pour autant été le seul compromis ou échec en défaveur de l'Amérique. Où est le mouvement hippie anti-guerre, anti-raciste, anti-discriminatoire et très majoritairement blanc? Où est le sujet du vétéran de guerre abandonné par sa nation en post guerre ? Sont ils tous noir ? Pas vraiment non ! Et quand est-il de la population américaine durant la guerre dont les jeunes furent pris et qui pennent encore aujourd'hui à se relever de ce vide de natalité.


- Dernière chose, dans ces scènes "montrant" , que dis-je, "héroïsant" la personne noire comme supérieures, résistant aux pires raid des soldats vietkong quand tous les blancs meurent instantanément, nous ferait on pas une explication de pourquoi l'Amérique a perdue cette guerre si tant de super soldats noirs étaient disponibles sur le terrain ? Est ce que finalement les noirs dans cette guerre ne sont pas des victimes comme tant d'autres sur le terrain, tout en se démarquant ceci-dit par le contexte qui les entoure ?


Broyant l'histoire à des fins historiques, on ne retire ici que le meilleur de son camp, ainsi malgré une participation active dans cette guerre, le Noir est innocent par définition. Si, comme dans le film, il tue un frère de guerre, il est pardonné car noir. S'il tue des enfants innocents dans un village, il est pardonné car noir. S'il massacre des vies et viol, il est pardonné car noir. Car une réponse ne reste pas en suspens dans ce film, c'est bien la dichotomie raciale dans la responsabilité. Ce sont les blancs qui dirigent la guerre, les blancs qui sont responsables de l'agent orange, les blancs politiciens qui commanditent le crime. ET, si à priori, la proposition pourrait être entendue, elle n'en reste pas moins une piste de réflexion et pas un bouclier idéologique. Car ce sont bien des noirs qui sont derrière le fusil dans tous le film ainsi que dans les archives. Pire encore, pour filer cette réflexion, si BLM est au centre de la fin du film comme une piste de paix et d'évolution, il se pose alors une sérieuse dissonance dans le discours à suivre. Notre époque cherchant une éthique parfaite, faites de paix, sans armes ni discriminations intra et intra communautaire, il est compliqué de faire un parallèle avec des héros de guerre salués justement pour leur courage et surtout ce qu'ils ont réalisés contre une autre ethnie. C'est d'autant plus compliqué que la construction du film condamne les agissements sur le versant blanc mais absolument pas noir, victime donc pardonnée et en aucun cas responsable. Le film nous martèlera d'ailleurs ce point dans des dialogues pas vraiment marquant et surtout n'hésitant pas à utiliser la bible et les grands propos de MLK entre autres pour valider les propos de Lee.


À notre grand désarroi, donc, nous ne sommes pas face à ce que nous sommes venus chercher à savoir le réel, mais bien une interprétation parmi tant d'autres. Ici, figure l'avis de Lee et malgré toutes ses tentatives de rendre son jugement comme une réalité cachée, il échoue dans un film ne sachant que traiter. Discriminations, racisme, pauvreté, politique, Amérique, guerre, vie de soldats ... Tout se mélange par le biais de nos personnages, mais rien ne fait figure de liant pouvant apporter une quelconque compréhension. En définitif, Lee réécrit l'histoire en prenant des bouts, les mettant comme il peut les uns avec et contre les autres. Il en ressort ainsi des idées si tirées par les cheveux ou déconnectées du récit qu'on peine à saisir la logique. Une belle déception qui se regarde finalement d'un œil divertissant, mais déçu par le potentiel. Les archives sont vraies donc un film sur un soldat noir aurait suffi à son propos. Mais en vue des dernières productions à son actif, la subtilité n'est pas le fort de Lee, vivant depuis un bout de temps une vie de château, mais se permettant ici un déni des classes populaires de toute couleur envoyé en guerre car pauvre.


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le 28 juil. 2023

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