Les curiosa sont, en terme de collectionneur, des livres, œuvres d’art ou photographies présentant un caractère grivois et libertin, voire pornographique. L’écrivain et poète Pierre Louÿs s’y essaya en publiant quelques recueils du genre et photographiant nombre de modèles féminins, en particulier Marie de Heredia dont il fut l’amant et qui, plus tard, allait devenir une romancière reconnue sous le pseudonyme de Gérard d’Houville. C’est en découvrant, parmi les lettres et les archives de Louÿs, les photos de Marie que Lou Jeunet a imaginé, et davantage qu’à raconter de manière purement biographique, les secrets et flamboiements de leur relation qui durera quatre ans.


Une relation passionnelle qui passera (et s’exprimera) par l’image, par le rapport au corps et sa représentation, au regard et au toucher, au sujet et au maître. Et à travers elle (et leurs séances photographiques) s’esquisse le portrait d’une femme libre et aventureuse, très amoureuse aussi, en butte aux conventions de la bourgeoisie étriquée du 19e siècle. Une femme moderne, en avance sur l’émancipation sexuelle féminine. Et comme pour rendre hommage à cette modernité, Jeunet s’éloigne volontairement d’une reconstitution d’époque académique pour y privilégier une ambiance stylisée et surannée, envoûtante et presque intemporelle (musique pop électro d’Arnaud Rebotini, déconcertante mais dans le ton) faite de simples détails, de textures, d’objets et d’éclats atmosphériques, et non d’images numérisées et d’un décorum ordinaire qu’on aurait, pour l’occasion, ressorti des cartons.


Quand le film, dans son dernier tiers, s’égare dans trop d’histoires de jalousie, de couples unis et désunis, ce qui faisait alors sa force narrative et son espièglerie érotique s’étiole aussi sûrement que Marie se languit de Pierre, parti pour un long voyage en Algérie. Le film en devient plus conventionnel, abandonne en partie sa singularité (mais pas son charme) puis ennuie, inévitablement. Et toute la grâce de Noémie Merlant, belle éprise effrontée, et tout le talent de Niels Schneider, beau comme un diable, et toute la sublimité des quelques poèmes entendus qui donnent envie de (re)découvrir Louÿs ne tempèrent pas ce sentiment à la fin que le film, et malgré ses nombreux attraits, a aussi en lui une part d’échec.


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mymp
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le 8 avr. 2019

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