Trois sœurs et une servante sont réunies dans le manoir familial. L’une d’elle est mourante. Toutes vont se succéder devant la caméra de Bergman afin de dresser leur portait. Avec un fondu au rouge en clair-obscur, chacune se souviendra d’un moment marquant de sa vie, se distinguant par la passion qui les anime.


Agnès tout d’abord (Harriet Andersson), qui se remémore sa mère froide, mais qu’elle aimait passionnément. Anna, la servante (Kari Sylwan), qui vit avec le deuil de sa fille, qui s’occupe de la sœur malade comme une mère. Recouvrant son instinct maternel perdu (elle se découvre même la poitrine, comme une mère donne le sein à son enfant). Puis Maria, jouée par la sublime Liv Ullmann, dont nous voyons la liaison avec le médecin de famille, mais dont l’amour ne semble pas réciproque. Et enfin, Karin (Ingrid Thulin), la sœur la plus névrosée, qui ne supporte pas d’être touchée, qui se mure dans un caractère strict d’où aucun bon sentiment ne doit émerger.


Toutes sont liées par la couleur rouge, omniprésente voire obsédante dans le long-métrage. Du rouge sur les murs, sur les robes, dans les fondus enchaînés… Rouge qui rappelle constamment la mort d’Agnès, de par son cancer de l’utérus. Mais aussi l’amour de Maria pour le médecin, les saignements que s’inflige Karin pour ne pas avoir de rapports sexuels avec son mari… Mais ce qui hante véritablement l’œuvre de bout en bout est l’idée de mort. Déjà, comme nous l’avons vu, avec Agnès, mais aussi avec la fille décédée d’Anna, la tentative de suicide du mari de Maria, qui n’est d’ailleurs jamais expliquée, et enfin, les idées suicidaires de Karin. Le personnage de la mère, jouée également par Liv Ullmann, elle-aussi décédée, plane au dessus des sœurs. Dans ce film les corps et les cœurs souffrent, en proie à la douleur physique, mais également sentimentale.


Ces sœurs semblent incapables d’atteindre un bonheur relationnel. Déjà entres elles : Karin et Maria, dans une scène déchirante, se disent leurs quatre vérités, et Karin semble incapable d’accepter l’amour de sa sœur. Fort heureusement, à la fin elles atteignent une réconciliation, mais au prix d’un déchirement préalable. Maria et Karin ne sont pas heureuses en mariage, semblent indifférentes à leur maris, et n’ont même pas peur de le montrer. Agnès, quand elle était petite, n’arrivait pas à accaparer l’attention de sa mère, et elle en souffrait. Le seul amour qui semble exister s’exerce entre la servante et Agnès, qu’elle materne.


Un des aspects les plus frappants réside également dans le parti pris de Bergman, qui, avec Cris et Chuchotements, atteint des hauteurs esthétiques presque inégalées. Le rouge omniprésent ainsi que l’accentuation des couleurs se conjuguent avec les passions des quatre femmes pour créer un point cathartique qui explose. Le tout étant sublimé par le jeu bouleversant des actrices.


A première vue le film semble irrémédiablement pessimiste, mais si on le regarde d’un peu plus près, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Tout le sous-texte cache en fait l’amour inconditionnel des sœurs entre elles. Les non-dits finissent par éclater (dans la scène déjà citée entre Karin et Maria), mais également grâce à la fin, magnifique, où la vérité éclate. Grâce au journal caché d’Agnès, le spectateur découvre comme Anna la joie ressentie par celle-là en compagnie de ses sœurs. D’ailleurs l’esthétique ne trompe pas, là où le film se déroule presque entièrement dans le manoir, aux couleurs sombres et à la lumière tamisée, la fin se passe à l’extérieur, avec une magnifique lumière naturelle, et les sœurs sont toutes vêtues de blancs, comme des anges.
Critique initialement parue sur le site lemagducine.fr

Flo-S
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le 26 nov. 2018

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