Voilà un film qui reste dans sa zone de confort. Crimson Peak apporte peu de nouveauté, d'originalité ; ses rebondissements sont attendus et convenus. Son esthétique, bien que séduisante, a été vue et revue. C'est beau, c'est assez prenant, mais sans aucun risque pris. Ça fonctionne, on s'attache à ces personnages fragiles et monstrueux, à l'ambiance, à la prévisible beauté des décors ; mais on aimerait être emmenés ailleurs, plus loin.


Il y avait pourtant matière. Des thèmes profonds, intéressants, sont bien là, mais en toile de fond. Il faut savoir / vouloir les chercher sous cet amas de suspense inutile et de rebondissements sans grande surprise. On peut citer le thème du passé qui rattrape, parfois qui attrape littéralement par la main, pour clouer Edith au sol, ou plus métaphoriquement, pour hanter les personnages. L'écrivaine nous le dit elle même : dans son livre, les fantômes sont une métaphore du passé. On n'avait pas vraiment besoin de son intervention pour le comprendre, mais quitte à ce que le thème soit aussi explicitement lancé, on aurait envie qu'il aille plus loin. On sent le poids de ce passé par le biais des découvertes successives que fait Edith sur le passé de cette maison et de ses habitants, par le biais d'enregistrements, de photos. Tout finit toujours par se savoir à Crimson Peak, les fantômes reviennent, les cadavres remontent à la surface, le blanc de la neige finit toujours par être pénétré par le rouge de l'argile. Il y a ce mouvement de surgissement inévitable qui m'a réellement intéressée. Le destin en marche également, comme si tout devait se passer ainsi, l'avertissement de la mère à son enfant n'étant pas suffisant pour éviter le danger. Le temps, c'est donc celui qui rattrape, et aussi celui qui rompt les plus grandes promesses comme celle qui dit "je t'aimerai toujours". Et puis il y a dans l'extrême violence de certaines scènes une sorte de rite initiatique vécu par Edith face à l'arrachement au confort familial. Le départ de la maison et la découverte de l'amour sont comme un déchirement qui se fait dans une grande agressivité. Crimson peak m'a donc bien parlé de tout cela : du temps qui rattrape, qui rompt les promesses, du poids du passé, d'une forme de destin tragique qui nous précipite inévitablement là où l'on aurait préféré ne pas aller, de la peur de l'avenir.


Malgré cela, j'ai eu pendant tout le film l'impression que l'important était de faire avancer l'intrigue, coûte que coûte, en dépit de tous les thèmes que je viens de citer et que j'aurais aimé voir plus développés. Le soufflet retombe toujours, une scène tient une piste intéressante mais elle est brisée par une réplique, une action. La fin est exactement à l'image de ce que j'essaie de décrire : après une fantastique accélération de la violence, on retrouve l'image du début, la boucle et bouclée, ce qui devait arriver arriva, on ne sait pas maintenant ce qui va se passer pour la pauvre Edith complètement détruite physiquement et psychologiquement par son séjour dans la maison hantée, génial ; mais badaboum, les quelques phrases de la fin me font ravaler la petite dose d'émotion que j'avais réussi à avoir au cours du final.
J'ai retrouvé, avec un certain plaisir je l'avoue, un genre de films dont j'étais très friande quand j'avais 15 ans. Mais maintenant, j'aimerais être surprise, emmenée ailleurs, plus loin, quitter cette zone de confort que Del Toro maîtrise et avoir en face un film qui prend des risques, qui utilise ce genre pour en faire quelque chose de nouveau, de plus profond. J'aimerais que la peur soit utilisée, au delà du simple divertissement, pour explorer les névroses des personnages autant que des spectateurs. C'est ce que Le labyrinthe de Pan faisait si bien ...

Azilys
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le 15 oct. 2015

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