La revanche propagandiste de la comédie romantique

Nous vivons une ère où le cynisme a prit le pas sur tout. Désillusion, bonnes vieilles valeurs qui montrent leurs failles. Au milieu de tout ça, la comédie romantique semble s'essouffler quelque peu. Le genre, éternellement voué à la redite, semble prompt à se briser sur les récifs sombres de notre époque. Pourtant, on continue éternellement de produire de nouveaux films où des amours contrariées mènent à un happy end glorieux. Difficile, d'une façon générale, de noter ou commenter la plupart de ces films, sauf quand ils s'écartent des règles (tels Medianeras de Gustavo Tarreto, 500 jours ensemble de Marc Webb ou Comment savoir de James L. Brook), au point souvent qu'on se demande s'il s'agit toujours de comédies romantiques.
La plupart du temps, il est donc ardu d'être réellement déçu. Quelle que soit l'histoire, le même schéma se reproduit, et comme les réalisateurs sont souvent de bons élèves chacun vaut l'autre et tout va bien. Perte de temps que de reprocher les stéréotypes, les rôles prédéfinis, les bons sentiments ou la mièvrerie, puisqu'ils sont l'essence même du genre.

Bam ! sort Crazy Stupid Love. Les bandes annonces laissaient présumer quelque chose d'assez jouissif, drôle, avec une bribe de noirceur collant à l'ère actuelle. Le tout dans un beau mouvement chorale, à l'instar du Love actually de Richard Curtis. Et effectivement, Crazy Stupid Love est, durant sa première heure assez jouissif : définitivement drôle, un peu insolent, cynique un brin. Les personnages sont attachants, on tombe amoureux de tout le monde, on tressaille durant les faux suspens, on veut croire avec eux que ça va bien finir. Et tout est là : les amours contrariés, les obstacles, les rebondissements, les autres amants au milieu, et bien entendu, pour les trois duos d'amoureux, le happy end attendu. Ouf !
Malheureusement, à bien y regarder, et lorsqu'on se prend en pleine face l'attendu discours final (qui précède en général le happy end), l'ensemble est débectant.

Une comédie romantique, en général, ne ment pas. Elle encense un idéal, désuet et caduque, de l'amour coup-de-foudre pour la vie à la mort. Point. Mais Crazy Stupid Love est retors : sa première partie fait mine de s'insérer dans l'époque actuelle. Un divorce, un don juan volage, un ado de teen movie. Le tout enrobé dans des gags qui donnent au film un rythme endiablé. Les épisodes ou les rebondissements grossiers participant pleinement au côté jouissif.
Ce que savent les réalisateurs, Glenn Ficarra et John Requa, qui avaient pourtant surpris en bien avec leur précédente comédie (Jim Carrey et Evan Mc Gregor dans une love story gay), c'est que notre ère est notre ère. Ô valeurs qui se perdent, ô désespoir qui nous prend : non, les comédies romantiques sont dépassées. Mais les deux garçons n'y tiennent pas. Et leur habilité splendide, rusée au possible, est de nous emporter dans leur mouvement, nous faisant croire qu'ici on défait le genre, pour au final nous asséner un laïus débordant de glorieuserie bon-sentimentale. Ne nous leurrons pas : les histoires d'amour des comédies romantiques, ce sont des histoires. Leurs règles transposées dans la vie réelles finissent inlassablement par ne plus être les bonnes.

Plus que tout : ici, les stéréotypes fictifs habituels, pas très grave la plupart du temps, accompagnent l'objectif du film. Plus que moraliste, le Crazy Stupid Love est propagandiste : au final le personnage joué par le beau Ryan Gossling a droit à la rédemption, puisqu'il rentre dans le droit chemin, et qu'il est beau de surcroit. Au final, la persévérance lourdingue des hommes a eut raison, les femmes rendent les armes. Il s'agit bien de ça, puisqu'il est souligné qu'ils doivent se battre. Tandis que les dames, elles, attendent d'être choisies. Tandis que ces messieurs font leur démonstration de force. Au final, l'ordre est rétabli : chacun rentre chez soi, en couple. Le père, un temps l'élève de drague du jeune, récupère sa position patriarcale. Les parents retournent, ensemble, au foyer. Le don juan connaît l'amour, et se range enfin. L'adolescente de 17 ans fantasmant sur le père au foyer, revient à la réalité. Le jeunot de 14 ans qui lui courrait après devra lui attendre quelques années. L'honneur et la morale sont saufs.

Au temps où les comédies romantiques pourraient légitimement disparaître, Ficarra-Requa répondent avec acharnement : l'amour (entendre par là l'idéal illusoire et trompeur du mariage hétérosexuel monogamique jusqu'à ce que mort s'en suive) existe bel et bien. Les comédies romantiques perdureront. Ne vous inquiétez pas. Soyez tenaces. Tout ira bien.
colville
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le 6 oct. 2011

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