Lundi 17 juillet, Gaspard (Melvil Poupaud) débarque de bateau à Dinard avec une guitare dans son étui. Jeune, grand, beau, décontracté, en T-shirt marin, ventre incroyablement plat, tignasse brune bouclée, Gaspard est en vacances. Mais c’est un peu plus compliqué, car il attend quelqu’un avant de commencer un travail. Comme il fait très beau (magnifique luminosité), il déambule tranquillement après s’être installé dans une villa dont il avait la clé. Solitaire, il marche sur la plage, une belle plage avec tentes à louer pour touristes ayant les moyens. Et puis, Gaspard dîne dans une crêperie.


Le lendemain, en allant se baigner, Gaspard est interpellé par une jeune femme qui sort de l’eau. Comme Gaspard ne la reconnaît pas, celle-ci se présente avec un sourire engageant : Margot, serveuse à la crêperie. Après sa baignade, Gaspard la cherche, mais c’est elle qui le repère et l’appelle pour l’inviter à s’asseoir. En quelques phrases elle le tutoie déjà. Tout aussi naturellement, Margot propose à Gaspard de se revoir. On les voit se promener et discuter longuement, de plus en plus complices. Margot prépare un DEA d’ethnologue, Gaspard est matheux. Préparerait-il Polytechnique ? Non, il s’apprête à devenir fonctionnaire, mais pas en préparant l’ENA. Il voudrait devenir professeur.


Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour sentir que ces deux-là sont faits pour s’entendre. Et même si la discussion entre eux va jusqu’à évoquer l’amitié entre homme et femme, quelques gestes montrent bien qu’il y a attirance. Margot affiche une certaine réticence, et laisse faire « à dose homéopathique » car chacun d’eux est déjà pris. En fait, chacun est avec une personne absente pour laquelle il ou elle n’est sûr(e) de rien, ce dont ils débattent. Le copain de Margot se trouve à l’autre bout du monde. En souriant, Margot dit qu’elle se voit un peu comme une femme de marin. Quant à Gaspard, il est venu à Dinard en espérant retrouver Lena qui pourrait être sa copine officielle, sauf qu’elle est partie en Espagne avec sa sœur sans que Gaspard puisse la joindre (thème typiquement rohmérien, puisqu’il est à la base de l’intrigue de Conte d’hiver autre contes des 4 saisons).


Tout va se jouer autour d’une expédition vers l’île d’Ouessant. Un projet que Gaspard voulait proposer à Lena. Celle-ci brillant par son absence, Gaspard est tenté de dire banco auprès de Solène, une fille que Margot connaît. Gaspard lui a tapé dans l’œil un soir en boîte et Margot sait qu’elle est libre. Au hasard d’une promenade du côté de la plage, Solène a engagé la conversation (elle aussi !) et fait du charme à Gaspard. Une brune de caractère, à la belle voix puissante, ce qui plait à Gaspard qui se pique de composer des chansons. Margot se met alors en retrait alors que… Lena entre en scène !


Gaspard ne sait plus quoi faire. Peut-être cela explique-t-il l’espèce de crise de nerfs de Lena. Mais celle-ci ne renonce pas pour autant. Pour ce qui est de préparer Lena, Gaspard n’est pas encore au point !


Rohmer le bavard commence son film par 7 minutes sans le moindre dialogue. Il établit ainsi une ambiance et permet au spectateur de découvrir le personnage de Gaspard. Ensuite, celui-ci fait des rencontres et les dialogues étonnent par leur justesse alors qu’ils sont très écrits. Pour les allergiques au style Rohmer qui considèrent que ses acteurs ont toujours un ton qui sonne faux, ce film est l’antithèse à essayer, même si du côté des actrices jouant celles que Gaspard rencontre, on peut toujours chipoter. Solène est attirante, elle a du caractère et chante vraiment très bien, mais elle se montre tellement exigeante qu’on plaint Gaspard par avance. Quant à Lena, elle est plus fragile physiquement, très féminine et plutôt capricieuse. Mignonne oui, mais le genre qui risque de rapidement se révéler casse-pieds.


Rohmer s’amuse donc à placer Gaspard dans une situation absurde. Lui, le jeune homme qui se voit un peu en dehors de la réalité avec ses maths et sa musique, se voit soudain confronté à un choix impossible, entre Lena auprès de qui il a un engagement moral, Solène l’audacieuse opportuniste et Margot qui s’amuse de son indécision et prétend se contenter de discuter à perte de vue en toute amitié, tout en affichant une troublante liberté de mouvements.


La fin (ouverte) est une jolie pirouette de monsieur Rohmer, très habile à botter en touche, à l’image de Gaspard tout heureux de s’en sortir sans avoir eu à préparer Lena (ni Solène).


L’interprétation est dominée par l’élégance de Melvil Poupaud qui est d’un naturel impeccable pour incarner Gaspard l’indécis solitaire et charmeur sans en en avoir l’air. Et puis, malgré sa voix parfois un peu haut perchée, Amanda Langlet (Margot) est craquante avec son franc sourire et une façon de mener des dialogues qui mettent constamment le spectateur de bonne humeur. Le film est lumineux, tant dans l’image (été en Bretagne) que dans les dialogues. L’apparente simplicité du film due au budget limité, intégrant des comédiens improvisés, est un miracle d’équilibre. Le meilleur du cycle, devant Conte d’hiver selon moi. Rohmer filme l’évidence entre Margot et Gaspard. Une évidence contrariée par tout ce qui s’est passé avant, les rencontres et des dialogues qu’on peut interpréter.


Petit regret, les personnages de Solène et Lena n’arrivent pas à la cheville de celui de Margot, ce qui fait que le spectateur peut rester sidéré de voir Gaspard hésiter. Mais c’est son caractère. Enfin, le film date de 1996, époque pas si lointaine où le téléphone portable n’était pas entré dans les mœurs. L’intrigue telle que Rohmer l’a conçue ne fonctionnerait plus aujourd’hui.

Electron
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le 6 juin 2014

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