Ce film a constamment le cul entre deux chaises. Entre autofiction et réalité, entre comédie musicale et comédie tout court, entre pro et amateur, entre moments réussis et ennuyeux. Et c'est tant mieux car c'est là sa place : c'est un film sur la transition, sur l'entre deux : Un créneau que seul Orelsan pouvait occuper avec son style unique, venant du fait que c'est un créatif, un cinéphile, qui se lance dans cette aventure en novice, avec pour seules armes sa passion et son envie de raconter son histoire, leur histoire à Gringe et lui.

Leur histoire et celle de leur génération, de ceux dont on ne parle jamais au cinéma, de ces mous/post-ados/attardés enkylosés par la peur du futur, des responsabilités, qui sentent qu'ils se rapprochent peu a peu de la routine de leurs parents qu'ils s'étaient pourtant promis de fuir.

C'est un film parfait non pas sur la paresse mais sur la flemme. Dans la paresse, il y a une dimension facétieuse, une envie de ne rien faire alors que la flemme, il est plutôt question de fatigue physique et/ou psychologique, un aspect "je baisse les bras, je verrai plus tard" tout en sachant qu'on ne le fera jamais. Le film pose la question : "Qu'est-ce que devenir adulte ?" Sûrement de ne pas trahir ses rêves d'enfance tout en gardant les pieds sur terre et ce n'est point chose aisée.

Les casseurs flowters, eux, n'ont encore rien fait car ils ont si peur de mal faire qu'au final, ils ne font rien. Ils partagent leur vie avec des filles qui ne leur correspondent pas (et vice et versa), ils ne parviennent pas à faire de la musique alors que c'est leur passion. Tout cela par manque de courage. Ils sont lâches et ils vont devoir trouver la force de combattre leurs démons qu'ils se sont créés eux-mêmes, poussés par une société de consommation annihilant toute envie d'envergure personnelle.

Le cinémascope fait office de parfait contrepoids avec l'absence d'héroïsme des personnages, ce cadre représente à la fois l'étendue d'un avenir rayonnant comme le grand vide qui occupe le cœur de nos deux parfaits antihéros, l'horizon d'une quête bien plus grande qu'il n'y paraît.

Niveau comédiens, celui qui crève l'écran, c'est bel et bien Gringe. C'est d'ailleurs en le découvrant dans ce film qu'Olivier Marchal l'embauchera. Il y magnifie ses propres démons, sa nonchalance est teintée d'un mal être qu'il a du mal à combattre. C'est un personnage complexe, ultra-lucide sur sa situation mais dont l'esprit fataliste et le manque de repère l'empêche de sortir la tête de l'eau, tandis que la nonchalance du personnage d'Orelsan n'est poussée que par du je-m'en-foutisme patenté et il est, à contrario, poussé par une insouciance touchante. Ce qui en fait un buddy-movie renouvelant parfaitement le genre avec ce type de personnages tout à fait inédit dans notre cinéma.

Les hommages vont de Clerks, notamment le tout premier plan ou la typo de l'enseigne du bar L'Embuscade qui reprend celle du titre dudit film, jusqu'aux comédies françaises à la Michel Blanc, qui devait d'ailleurs jouer le rôle du patron de l'hôtel dans lequel Orelsan officie (et y officiait réellement dans la vie). L'approche créative d'Orelsan est finalement la même que celle des débuts de Claude Berri, mettre en scène sa propre vie avec un regard aussi malicieux que sentencieux avec pour seul objectif que celui d'amuser le public avec ses propres turpitudes.

À l'instar, derechef, de Claude Berri, Orelsan n'hésite pas à engager ses proches dans leurs propres rôles. Si Berri avait engagé sa propre mère, n'ayant jamais joué la comédie, dans Le Mâle du siècle par exemple, Orelsan dirige sa propre grand-mère, Jeannine, qui ne comprend pas forcément le tournage et se retrouve même à improviser sans le savoir (ne se sachant pas toujours filmée). Il est délicieux et touchant de la voir chanter puis de subitement se cacher le visage de honte ou de voir Orelsan surpris par certaines de ses répliques qui n'étaient pas prévu. Le montage est très audacieux dans sa manière de rendre ces moments authentiques et impromptus parfaitement cohérents avec la narration.

Ce film est une tranche de vie et on suit l'intrigue comme on suit des copains, les vrais, ceux d'Orelsan. Skread, Ablaye et Bouteille sont parfaits dans leur propre rôle tandis que Diamond Deuklo est impérial. Encore une fois, le montage permet même de le "softer" car il est tellement "bigger than life" qu'Orelsan et Offenstein (coreal de l'affaire) peinent à le rendre crédible, les scènes (heureusement) coupées en atteste. Il crève littéralement l'écran et il est à la hauteur de la démesure du personnage. Pour vous faire une idée de l'animal, écoutez ses interludes sur la premiere mixtape des Casseurs Flowters, notamment celle qui suit le fleuri "On a baisé ta femme" qui est une masterclass de vulgarité outrancière (que j'adore, au demeurant).

Bien que la fin soit décevante, donnant une impression que l'histoire ne soit pas totalement terminée, cette comédie intimiste fait figure d'ovni par chez nous, une pièce d'un univers transmédia, celui des Casseurs Flowters, avec une timeline qui ne respecte pas l'ordre de naissance de leurs différents projets. Si on remet le tout dans l'ordre, le début de leur histoire serait leur série Bloqués, puis ce film et enfin leur unique (à ce jour) album. Cependant, si vous ne les connaissez pas et que vous avez envie de vous lancer, je vous conseille de suivre l'ordre d'apparition factuelle, comme les Star Wars finalement où je pense qu'il est mieux de débuter par les IV V et VI plutôt que par la prélogie des années 2000. Oui, on peut oser comparer l'univers des Casseurs Flowters à Star Wars car "Ils sont coou-ou-ou-ouls"

ThibaultDecoster
7

Créée

le 18 déc. 2022

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