La vue est plus belle de l'autre coté

Suivant le succès d'Ida en 2013, le cinéaste polonais revient avec une histoire d'amour impossible récompensé à Cannes pour sa mise en scène s'inspirant en partie du récit personnel de ses parents.


Ce qui frappe avant même le soin apporté au noir et blanc rappelant un passé sous pression d'une guerre imminente et le format d'image peu conventionnel qui oppresse les personnages dans le cadre, c'est l'importance de la musique et du son.
Tout fait écho à la musique, du classique au jazz, nous sommes les passagers des tumultes amoureux comme nous le sommes du contexte historique et des évolutions musicales suivant le film.
Il débute d'ailleurs par des chants folkloriques polonais qui se dévoile être le matériel de travail du personnage principal :
Wiktor enregistre, écoute et analyse cette musique pour en faire une œuvre à part entière mais ce qu'il trouvera sera au-delà de ses espérances.
C'est une épopée intime à travers l'Europe durant la guerre froide pour retrouver son autre amour (après la musique), celle d'une femme : Zula.


Pourtant tout les oppose, Wiktor est un artiste bourgeois, bien éduqué et plus âgé qu'elle alors que Zula vient des bas fonds de la Pologne avec d'anciens problèmes familiaux. Cela ne lui posera pas de problème pour vite tomber sous son charme.
Même la mise en scène met déjà à distance les deux amoureux lors d'un moment magistral aussi simple que complexe :


Le metteur en scène m'a bouleversé par ce simple plan où Wiktor et sa collègue regardent la foule à la suite du spectacle.
Ce qui est impressionnant est l'effet visuel du plan fixe qui débute comme si ses deux personnages étaient au milieu de la foule en train de parler mais au moment où une troisième personne apparaît dans leur conversation, l’illusion se brise, ils étaient en réalité contre un immense miroir en train de regarder la foule.
Wiktor se retrouve alors seul au centre de la réflexion du monde autour de lui, ne faisant plus qu'un avec les autres mais restant toujours aussi distant. A part pour Zula lors d'un échange de regards envoûtants sublimés par la grâce du personnage de Joanna Kulig qui sera vite coupé par une ellipse allant directement aux ébat amoureux des deux protagonistes.


Le réalisateur fait ici un choix décisif que l'on comprend au fur et à mesure, il ne nous montre qu'une partie de l'histoire d’où l'importance des nombreuses ellipses tout le long du film.
Comme il l'a dit lui-même dans une interview, son film a un montage «syncopé», qui est un terme utilisé dans la musique et plus spécialement le jazz dont il fait déjà référence lors de certaines scènes rappelant vaguement la mise en scène de Damien Chazelle pour ce genre musical. Pawlikowski va même plus loin dans son propos sur l'art avec une mise en abyme puissante de la musique au cinéma.
Cela crée une atmosphère, un rythme et un style particulier s'approchant de ce que peut faire la musique, sautant des passages de la vie des personnages par des coupures aux noirs brutaux pour refaire apparaître le son et l'image régulièrement par des scènes ou la musique revient tout aussi brutalement.
Mais ce n'est pas parce qu'il y a une certaine rapidité qu'il n'y a pas un soin méticuleux pour les cadres, ils peuvent être composés de manière statique ou plus mouvementée et sans coupures comme le moment ou Zula se laisse emporter par la musique pour danser frénétiquement avec n'importe qui, laissant un instant le chagrin pour son pays natal qui lui manque terriblement.


La construction de son récit et de son montage agi donc comme pourrait le faire la musique évoluant au fil du long-métrage.

Il ne s'intéresse pas à ce qui entoure le récit, il délaisse de nombreux points pour nous investir, nous spectateurs, en essayant de remplir les trous laissés volontairement vides par le cinéaste.


En prenant du recul pour rentrer dans sa démarche, Cold War s'ouvrira en un tableau mélancolique ou la seul guerre qui compte est celle pour l'amour.

Jolan F.

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