Pas de guerre sans public

Ce film est une annonce, un joyeux klaxon photogénique : oui, vous foncez vers le chaos, et oui, c'est beau d'où vous êtes. C'est-à-dire du côté face, celui où on a eu la chance de grandir, et qui menace de s'effondrer un peu plus à chaque déni. Mais les inquiétudes s'échappent dans la fumée d'une clope, dans l'éclat d'un rire cynique et graveleux. On n'a plus que ça à faire donc on esthétise.

Peu importe la vraisemblance des événements racontés, les (mal)heureux points communs avec la réalité (celle qui nous est rapportée), le sujet n'est pas là. Ce que veut nous montrer le film, c'est notre époque où surgissent les monstres, et surtout à quel point elle rime avec notre fin. Dire de ce film qu'il n'a rien de politique est aussi idiot que d'aller au cinéma avec un prisme prédéterminé, un avis à faire gagner sur l'autre.

Dans son film France, Bruno Dumont exploitait déjà l'idée du point de vue artifciel offert par la mise en scène de l'information, au point où l'émotion va jusqu'à se laisser dicter par le créateur des images diffusées : quand le cinéma remplace le journalisme, comme une impossibilité de factuel sans sa part de fiction.

Ce qui intéresse les personnages de Civil War n'est en aucun cas leur positionnement dans le conflit. Comme le dit Kirsten Dunst dans le film, il faut rapporter les faits, ne pas poser de questions, immortaliser et partir, quitte à augmenter ses chances personnelles de détenir la photo parfaite. Ce qui va frapper les journalistes dans une ville fantôme en plein déni du conflit n'est pas le manque d'opinion politique de la population "on ne se mêle pas de ça" mais le manque d'action, le manque de faits à rapporter. "Vous êtes au courant de ce qui se passe dehors ?" autrement dit "rendez-vous compte qu'on vit un truc de fou et que vous êtes en train de tout louper".

Si Léa Seydoux capture les instants dont elle se fait star, pour une chaîne de télévision envers une population non-impliquée dans le conflit, Kristen Dunst semble le faire pour la beauté du geste, sans trop s'adresser à qui que ce soit à part des spectateurs imaginaires (peut-être nous).

C'est ici que le film interroge : l'absence totale de téléphone portable dans le film (liée semble-t-il à la disparition du réseau) est une absence d'audience. Ici pas de réseaux sociaux ou de télévisions, donc de retransmission en direct, mais de la photographie, des captures figées dans le temps qui témoigneront en temps voulu auprès d'un public qu'on ne connaît pas encore. Des images non-commandées, sans but commercial, sans cible marketing. Mais ces images pourraient tout aussi bien être des bouteilles à la mer. Peu importe. Au milieu du chaos, déboussolés par l'absence de Big Brother comme si nous vivions tous au fond pour les caméras depuis tant d'années, ne reste plus que l'élégance de témoigner, d'être dans l'instant, de rester contemporain.