Civil War
7.1
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Mouais… Bon.

D’un côté, c’est vrai, je n’ai pas envie de jouer au pisse-froid de service.

On a quand même affaire là, avec ce Civil War, à un film qui s’est bâti sur une proposition d’univers osée, alléchante et qui parvient, de temps en temps, à produire des images ou des instants impactants (surtout un, dont on reparlera à la toute fin) et ça, je ne saurais lui retirer.

Idem, il y a des gestes d’auteurs évidents tout au long de ces 1h49 de long-métrage ; gestes qui témoignent d’une maitrise réelle et qui ont d’ailleurs su participer à la réussite des instants sus-cités.

Et puis enfin, ajoutons à cela une tentative d'installer des personnages, lesquels étant servis par des prestations globalement honorables, et en disant cela, je pense que j’aurais fait le tour des raisons pour lesquelles je ne peux décemment pas renier le fait que, globalement, j’ai passé un plutôt bon moment face à ce Civil War.

J’irais même jusqu’à dire que ce film dispose de suffisamment de personnalité – et parfois même de brefs éclairs de génie – pour qu’il laisse une trace durable dans mon esprit…


Pourtant, le sentiment qui domine chez moi en sortant de ce film, c’est le gâchis.

Gâchis d’abord en constatant assez rapidement que, de cette proposition pourtant prometteuse qui consiste à préfigurer une future guerre civile aux États-Unis, Alex Garland n’entend finalement n’en tirer qu’un banal film de guerre au sens purement militaire du terme.

Les raisons de la division, le contexte socio-politico-économique qui conduit à la déchirure, la sociologie de l’émiettement qui la préfigure et celle qui en découle, de tout ça Garland n’entend manifestement pas en parler.

Et quand bien même est-il bien contraint de semer quelques miettes d’explication sur la table en introduction – histoire de contextualiser et de crédibiliser sa situation – que tout aussitôt l’auteur britannique les balaye d'un revers de la main, comme pour qu’on ne s’attarde pas dessus.

Symbole de ce désengagement : ce choix de nous faire suivre ce conflit par l’entremise de reporters de guerre. Certes, cette approche est loin d’être impertinente dans la perspective de générer toute une imagerie réaliste, plausible et crue d’un tel conflit mais, en contrepartie, c’est aussi l’occasion pour Garland de justifier sa posture couarde qui consiste à simplement produire de l’imagerie et rien de plus.

Une attitude pour le moins étrange de la part d’un cinéaste qui, d’un côté, affiche son audace à s’engager sur un sujet sulfureux, mais qui de l’autre se dégonfle sitôt s’agit-il d’avoir à le traiter.

Frustration…

…Et malheureusement ce n'est pas la seule.


Parce que même dans son approche « journalistique », ce Civil War présente vite ses manquements.

Très rapidement réduit en un simple road movie visant à enchainer les tableaux d’une Amérique en guerre, Civil War se retrouve à rapidement rejoindre des sentiers plus que connus et balisés, lui faisant ainsi perdre toute la force suggestive de sa proposition initiale.

Car non, le cinéma étatsunien n’a pas attendu Alex Garland pour produire une iconographie de l’Amérique en ruines. De La route à The Walking Dead, elles ont été nombreuses ses productions de « post-apo » à nous représenter un nouveau monde rongé par ses vieux démons, où le culte du cowboy solidaire se devant de défendre son lopin, colt à la main, revient subitement au galop.

De là, Civil War nous fait voyager de moments attendus en moments attendus, presque contraint d’afficher un compteur kilométrique pour nous rappeler qu’à un moment donné, on finira bien par atteindre quelque chose de potentiellement intéressant.


Le pire dans tout ça c’est que, quand bien même le film nous fait très rapidement comprendre qu’il n’aura à nous offrir qu’une simple proposition visuelle, qu’il parvient malgré tout à se défausser à nouveau, même dans ce registre-là.

C’est que, l’air de rien, il y a dans la démarche formelle de ce film quelque chose qui tiendrait presque d’une mise à distance du sujet par l’esthétique. Entendons-nous bien : je ne reproche pas à ce film d’avoir cherché à être formaliste. Par contre, je lui reproche clairement d’avoir cherché à être raffiné, pour ne pas dire pompeux, voire parfois un brin pompier.

Entre cette photo lisse, ces teintes chaudes, ces figurants parfois tout droit sortis d'une agence de top models, ces ralentis, ces effets de lumière ou de particules, et surtout les insertions de tubes musicaux cherchant en permanence à produire le bon effet clinquant, Garland en vient régulièrement à désamorcer totalement son dispositif qui visait pourtant initialement à donner du crédit à cette guerre.

Ici, l’esthétique apparaitrait presque comme une lâcheté ; une façon de ne pas vouloir regarder vraiment les choses pour ce qu'elles devraient être.

L’effet est d’autant plus gênant qu’il semble pleinement conscientisé. Entre Joel qui s’excite à l’idée d’aller filmer les combats, Lee qui invite à produire de belles images sans se poser de question et Jessie qui reconnait au bout de son périple que, malgré l’horreur, elle ne s’était jamais sentie aussi vivante, tous les personnages semblent essentiellement animés par l’excitation que procure l’esthétique de guerre plutôt que l’enjeu de la guerre en elle-même.


Malgré tout, c’est aussi en partant de cet état d’esprit-là que le film parvient parfois à générer de vrais bons moments de contraste et de rappels au réel.

Je pense notamment à ce moment où notre groupe de journalistes tombe sur ce qui ressemble bien à un nettoyage ethnique, mené par des particuliers, et cela en marge du conflit. L’air de rien, dans cette scène-là, Garland parvient non seulement à ramener tous nos journalistes sur terre, confrontés à la réalité de ce qu’ils contribuent à esthétiser, tout en parvenant à se reconnecter à ce qu’on était en droit d’attendre initialement d’un film traitant d’une guerre civile aux États-Unis, à savoir le fait de parvenir à figurer et à exacerber une tension latente et réelle tout en sachant lui donner un aspect crédible et donc glaçant.

De même, difficile de ne pas noter que c’est aussi en partant de cet étrange postulat esthétique que ce Civil War parvient à nous offrir ce qui est, pour moi, à la fois son indéniable centre d’intérêt tout comme le moment où se rappellent à nous toutes ses limites : j’entends parler ici de son final.


Car oui, cette longue scène finale, c'est clairement le point d'orgue du film.

Elle est à la fois une réelle attraction visuelle, sonore et surtout rythmique – actant définitivement la finalité esthétique de cette démarche filmique – mais tout en achevant en parallèle de questionner cette quête d'esthétisation.

D'un côté on pose un tir de roquette comme l'aboutissement libératoire d'une séquence permettant de faire avancer les troupes, et de l'autre on n'oublie pas de faire remarquer à quel point la valeur patrimoniale de la cible explosée est invisibilisée face à l'élan galvanisant du camp du bien en état de marche.

Et dans ce vaste exutoire visuel et martial, on a l'intelligence de poser le photographe comme agissant de pair avec le soldat, questionnant presque de fait l'absence d'innocence qu'il y aurait à esthétiser un fait de guerre. Produire l'image de guerre, c'est aussi participer à la guerre.

Et je trouve que la photo finale qui se révèle au cours du générique de fin participe à cette ambiguïté. Un cadavre gît au sol, mais les soldats sourient. Le meurtre est magnifié. La barbarie de soldats qui ont pourtant refusé toute pitié et tout jugement prend ici un visage humain, pleinement acceptable.


Pourtant, jusqu'au bout, ce film m'aura dérangé. Jusqu'à son grand final, donc.

Et c'est tout le problème qu'il peut y avoir dans ces œuvres qui n'assument pas pleinement leur démarche ou, du moins, qui ne savent pas conduire leur démarche convenablement sur tous les fronts.

Parce qu'en se montrant aussi évasif sur le fond, Civil War conduit mécaniquement à questionner les intentions qui le régissent. La présentation des enjeux est si primaire en son début, le traitement des personnages finalement si sommaire (malgré une tentative louable) et surtout la résolution de certains points de l'intrigue tellement grossiers...

(Le sacrifice quasi-volontaire de Lee pour sauver Jessie est aussi téléphoné qu'appuyé dans son exécution.)

...que tout ça agit comme autant de scories malhabiles qui participent à grandement parasiter l'appréciation qu'on pourrait se faire de l'œuvre et surtout de sa démarche...

...s'il en existe une clairement établie.


Et malheureusement je pense qu'elle est un peu là toute la limite de ce Civil War. Je ne suis pas convaincu qu'au bout du compte, son auteur ait été pleinement maître de ses effets.

Déjà son précédent Men n'avait pas brillé par une profonde subtilité discursive, quand son premier Ex Machina avait quand à lui affiché quelques manquements en termes d'originalité sur ce point.

Au final, j'ai l'impression que l'option dans laquelle Garland se sent en définitive le plus à l'aise reste encore celle de la dérobade ; dérobade derrière le flou artistique d'une esthétique léchée.

Tout cela permet de jouer l’ambiguïté de la grande œuvre cryptique alors qu'en définitive, il ne fait que nous livrer un ouvrage bancal dont les contradictions nuisent à l'immersion.


Alors certes, malgré tout ça, je ne vais pas faire mon pisse-froid, tout comme je ne l'avais pas fait non plus face au trois précédentes œuvres de l'auteur britannique. Mais reste malgré tout – et une fois de plus – cette impression d'essai non transformé ; de film inabouti affichant une profonde audace mais sans pour autant oser (ou sans pouvoir) se donner les moyens de ses ambitions.

Ainsi Civil War sera à classer, du moins me concernant, parmi ces films de « petits malins ».

Malin, certes, ce qui n'est pas désagréable en soi, convenons-en...

Mais « petit », malgré tout, et ça, avouons-le, ça reste quand même davantage gênant.

Créée

le 24 avr. 2024

Modifiée

le 24 avr. 2024

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