Tupac et Notorious Big, c'était pas n'importe qui, scrogneugneu. L'un était un parolier de génie et une idole populaire, personnalité atypique et summum d'un individualisme américain opiniâtre et émancipateur, à peine souillé par quelques parts d'ombre. Le second aura traversé son époque comme une comète, un seul album publié de son vivant, mais quel album. Le définitif Ready to Die, chef-d'oeuvre de l'art du sample, d'une poésie du béton et de la rue, hargneuse et coulée dans un flow exceptionnel. Et puis cette pochette mythique, gravée dans le marbre.


Les meurtres coup sur coup de 2Pac et de Biggie font partie de la légende de l'histoire de la musique, et même de l'histoire des Etats-Unis, mais cela en fait aussi une tarte à la crème. Biggie et Tupac, c'est un peu comme l'affaire Grégory: on ne saura probablement jamais le fond de l'affaire, mais cela n'empêche pas des tas de médias de passer outre et d'en tartiner des pages et des pages année après année pour vendre du suspense et des articles sensationnalistes ad vitam eternal. Au point de susciter des théories du complot farfelues, comme il se doit, auxquelles un certain Obama fera d'ailleurs allusion pour vanner Donald Trump.


On ne peut pas traiter de ça à la légère, comme si c'était une quelconque intrigue d'un épisode de Cold Case -série très sympa, toutefois.


Le problème est que Brad Furman semble s'en ficher de Notorious BIG et de 2Pac comme de sa première chemise, et cela ne se ressent pas seulement par le fait que le film soit finalement bien peu musical.


D'autres rappeurs, plein d'autres, se sont fait flinguer. Et on ne se rappelle que de ces deux là. Or, jamais le film ne fait pénétrer dans l'univers de ces deux rappeurs, ni ne fait appréhender leur importance capitale, à la fois musicale et sociétale. Biggie et 2Pac, c'était un choc de civilisations, d'esthétiques musicales, de territoires. Côte Ouest contre côte Est. Prods léchées de Dr Dre et american dream revanchard d'un côté, contre samples rugueux et désespoir urbain qui pue le crack et la pisse. C'est une tragédie mythique: deux rivaux autrefois amis devenus irréconciliables, les deux rappeurs les plus adulés de leur temps, tous deux abattus à quelques mois d'intervalle par le même mode opératoire spectaculaire (un drive-by à un feu rouge), fruit de probables magouilles de producteurs véreux voire carrément mafieux, sacrifiant leurs poules aux oeufs d'or comme un syndicat du crime envoyant ses pions à l'abattoir lors de règlements de comptes sans fin. Deux crimes irrésolus, jamais punis, dans un contexte de guerre des gangs et de corruption de la police. Si ce n'était pas une histoire vraie, on n'aurait pas osé l'inventer. Imaginez un peu si John Lennon avait été abattu deux fois, et qu'en plus on n'avait jamais mis la main sur Mark Chapman, le tout dans une ambiance de chape de plomb à la Serpico.


Hélas, City of Lies manque d'âme et ne dégage jamais l'ampleur nécessaire pour un tel sujet. Les deux meurtres sont traités comme n'importe quel Mcguffin de base. Une mise en scène plate, une lumière franchement pas belle et une direction artistique quelconque ne permettent jamais de ressentir la moindre implication dans ce qui est un des plus gros, si ce n'est le plus gros clash de l'histoire du show business. Et ce ne sont pas deux trois allusions à Rodney King, à Eddie Cochran et deux inserts sur un Suge Knight réduit à sa trogne de tueur en l'espace d'un plan, qui vont donner de la consistance à ce récit qui a pourtant tout pour être haletant et captivant.


Aussi incarné qu'un procès-verbal, oubliant de faire de Los Angeles un personnage à part entière, multipliant les investigations fastidieuses, les fausses pistes et les tableaux de liège qui croulent sous les articles de journaux découpés, le film ressemble avant tout à une opération de com' au service de Johnny Depp. Ennuis conjugaux, déboires professionnels et financiers, addictions à la drogue, caractère ingérable, filmographie en chute libre, l'ont poussé à se trouver un rôle à contrepied de ses grimaces habituelles, en flic taciturne dans un polar dramatique inspiré d'une histoire vraie.


City of Lies fait partie de ces films au style télégraphique, écrits comme une fiche Wikipedia. Ces films qui ne parleront pas au profane, qui ne trouvera pas ici de porte d'entrée pour l'intéresser au sujet. Mais il ne parlera pas à l'initié non plus, qui aurait préféré que cela ait plus de corps, que cela ait du caractère, que ça ait l'air d'un gros film baroque et tragique de gangsters à l'ancienne. Je sais pas moi, faites donc péter la passion de St-Mathieu sur un plan de Biggie criblé de balles au ralenti. M'voyez.

Biggus-Dickus
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le 8 déc. 2021

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Biggus Dickus

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