Dog, Mirales et leur bande de potes vivent dans un petit village indéterminé du sud de la France. Cette France dite désormais "des territoires", moins exotisante et télégénique que les cités françaises, où pourtant le morne quotidien, entre chômage, désoeuvrement, embrouilles avec les gitans et petits trafics, compte de troublantes similitudes.

On se réunit sur la place de l'église, on fume des joints, on pratique plus ou moins le mimétisme avec les quartiers populaires, verbalement ou au niveau vestimentaire. On se chambre, plus ou moins gentiment. On fréquente les derniers espaces de lien social : le bistrot, les derniers commerces de proximité. On réfléchit à ceux qui pourraient être créés. La rêverie, en soupape de décompression et en alternative à un pesant sentiment d'inertie.

On prend un peu soin des plus anciens (les scènes avec la boite en fer de la vieille pianiste et celle des jeux à gratter sont particulièrement touchantes).

On ne saura rien, ou très peu, de ce qui a mené Dog et Mirales à échouer ici. Mais on sait que leurs pieds y sont pris. Dog est un petit taiseux taciturne, qui accepte de vivre dans l'ombre de Mirales, "une grande brindille moins stupide qu'elle n'en a l'air", parfois inspiré, souvent délirant, qui vit avec son chien Malabar chez sa mère, peintre dépressive. Tout ça est posé comme une relation bien fuckée, mais comme il en existe plein partout. Le jeu est redistribué lorsque Dog rencontre Elsa, étudiante en lettres à Rennes, venue économiser du loyer dans la baraque de sa grand mère.

Qui et où est le chien ?

Si l'époque est heureusement à la déconstruction des rapports de domination, elle ne dit pas que ce type de fonctionnement est inhérent à toute forme de relation humaine. Par conditionnement ancestral, inconscience relative, soumission à la dynamique de la dualité ou du groupe, et aussi parce qu'il arrive que chacun ou chacune s'en accomodent, plus ou moins, pour tenir une fonction reconnue par tous et toutes. Au travail, dans le couple, en amitié, dans la communauté et la famille.

Pour son premier film, Jean Baptiste Durand ne se pose pas en formaliste démonstratif. Il brille cependant, même si rien ne dit quelle part d'improvisation est laissée aux comédiens et comédiennes, comme dialoguiste et en terme de direction d'acteurs. Rarement dans le cinéma français moderne, les rapports de domination et les dépendances affectives (à mon humble avis y a des vases communicants) n'auront été si magistralement retranscrits sur grand écran. Avec autant de subtilité, et surtout avec autant de violence contenue et de tension homosexuelle latente (avouons le aussi bien que le film, sans rien dire) qui pose une ambiance aussi captivante que dérangeante dans ce village où il ne se passe rien, ou si peu (la scène du resto pour l'anniversaire de Dog est à montrer dans les écoles de ciné).

Là où bien des réals sombrent parfois dans l'émotion dirigée, Durand déroule le contraste de ses personnalités morcelées et complexes, pour tenir un spectateur toujours à l'affut du climax, du point de rupture, voire de la résilience. Une réalisation formelle maîtrisée, sobre, propre, peut-être académique, mais d'une très grande intelligence.

On ne m'enlèvera cependant pas de l'idée que si la direction d'acteurs est exemplaire, Raphaël Quenard fait partie de ces jeunes comédiens aptes à sublimer une juste honorable intention de réalisation. Si son personnage y est pour beaucoup, il prend tout l'espace, crève littéralement l'écran et porte à mon avis la plus value du film sur ses frêles épaules. Il n'échappera sans doute pas aux sempiternelles comparaisons avec un certain Patrick Dewaere dès qu'un jeune acteur se hisse au dessus de la mêlée. Toujours est-il que la comparaison est pour une fois moins usurpée qu'à l'accoutumée, tant ce type suinte le travail et le talent. L'interprétation des autres comédiens et comédiennes ne souffrent d'aucun accroc, même si je trouve que la palette de jeu du certes très talentueux Anthony Bajon évolue peu. Les choix de rôles servent aussi à ça parfois.

Chiens de la casse est en tous cas un premier film impressionnant, porté par un acteur qui l'est tout autant. Là où certains réals ont parfois tenté d'illustrer le malaise des campagnes dans un naturalisme et un formalisme abscons (Dumont, Hue, pour ne citer qu'eux), Durand pointe sa caméra droit vers l'essentiel, et ça fait foutrement du bien au cinéma français.

Créée

le 2 août 2023

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