Une énergie qui compense un scénario trop attendu

Il y a en même temps, dans Chevalier noir, des airs de déjà-vu et quelque chose de tout à fait rafraîchissant.


Côté « réchauffé » : le scénario, qui ne se démarque pas par son originalité. L’ascension d’un dealer, le destin croisé de deux frères ou le trop attendu retournement final ont déjà été vus dans de nombreux films, parfois des classiques. Pour donner de l’épaisseur à son récit, le cinéaste a bien tenté de jouer de symboliques particulières mais n’a pas réussi, selon moi, à en tirer les potentialités, la faute à un manque de clarté sur le sens qu’il faut leur prêter.


Le titre, tout d’abord. J’ai été assez surpris de me rendre compte, après visionnage, que celui-ci faisait à priori référence à une figure de la littérature médiévale. Chevalier qui n’a prêté allégeance à personne pour se vendre au plus offrant, sans bannière donc et tout auréolé de noir, Iman (Iman Sayad Borhani) fait figure de héros solitaire et romantique, évoluant en marge d’une société qu’il rejette. Pour un film iranien, qui entend de plus montrer dans quel état est la jeunesse téhéranaise, j’ai trouvé la référence assez déstabilisante. Je m’attendais personnellement à ce que cette couleur noire évoque l’obscurantisme - dans un pays toujours très marqué par la révolution islamique de 1979.


Le vautour, ensuite. Je n’ai pas bien compris la raison du choix de cet animal, qui apparaît de manière assez surnaturelle à l’intérieur du film. J’ai lu que, chez les Zoroastriens, les morts étaient non pas enterrés mais laissés à l’air libre dans des « tours du silence » où ils étaient souvent la proie des vautours - pour une putréfaction « en hauteur ». Fallait-il voir dans ce vautour, une symbolique mystique ? Je crains que non, car même si l’on parle parfois de malédiction, aucun autre élément du film ne vient étayer une quelconque dimension spirituelle dans les actes du personnage principal. Pire, je crains que ce vautour ait une signification plus moderne et bassement manichéenne : pour survivre, Iman se ferait vautour afin de se nourrir de la mort causée par la drogue. Sur un thème identique, la métaphore animale de Un prophète (Jacques Audiard, 2009), dans la fameuse scène de l’accident de voiture, fonctionne beaucoup mieux (et le titre du film, pour le coup, est tout à fait univoque).


Sur l’aspect politique du film en revanche, si l’on peut penser que celui-ci n’est pas suffisamment prégnant (rappelons que les cinéastes iraniens ont la lourde tâche de devoir composer avec la censure), il est pourtant bien présent. Par l’intermédiaire du personnage de Hanna, qui a quitté l’Iran dans l’espoir de trouver un avenir meilleur, et peut-être plus encore par le biais de sa mère qui lui rappelle sans arrêt sa condition de femme iranienne – et les nombreux diktats qui vont avec : se couvrir, ne pas conduire, ne pas sortir seule… Le chômage est également évoqué à de nombreuses reprises et explique le passage dans la délinquance de Iman. L’épilogue va peut-être aussi dans le sens d’un message politique.

C’est une véritable leçon de morale que donne le cinéaste à Iman. Celui-ci renonce donc à devenir dealer et va vendre les terres de sa mère pour renflouer les comptes de la famille. Encore de l’argent facile ? Et si c’était une manière de mettre la corruption immobilière au même niveau que le trafic de drogue ? C’est une interprétation bien sûr.


Enfin, ce qui constitue selon moi la grande qualité du film : sa mise en scène, véritable caméra embarquée dans la nuit de Téhéran. Le cinéaste alterne brillamment les points de vue entre celui de Iman, dont le visage émacié est de tous les plans, et celui qui donne à voir une jeunesse iranienne sacrifiée (maudite ?) sur l’autel de la drogue. L’énergie remarquable de Chevalier noir, c’est celle de ces jeunes qui veulent s’en sortir envers et contre tout, au milieu de la nuit qui les entoure, celle de la dictature et de la misère. Une nuit qui infuse superbement l’imagerie de ce film, rendant plus belles encore les aurores qui suivent les soirées à s’oublier dans les excès de la drogue. Un contrepoint rafraîchissant au récent La Loi de Téhéran (Saeed Roustaee, 2021), sur le même thème mais au point de vue plus policier.

jroux86
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le 5 avr. 2024

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