Sur un scénario de Gordan Mihic Le temps des gitans, Emir Kusturica nous offre ici un grand souffle de folie. Comme souvent l’univers tzigane de son enfance et adolescence est l’occasion d’une intrigue furieuse, une saga familiale déjantée où les conflits inter générationnel, la quête de liberté, la jeunesse, et l’affirmation de soi seront le centre des péripéties. Il choisit ici le registre comique.


Surfant sur le surnaturel, on croise des morts qui ressuscitent, des animaux qui surgissent de nulle part, un cochon qui grignote la carrosserie d’une voiture, des personnages aux comportements plus absurdes les uns que les autres, disparaissant au gré de trappes ou autres plafonds qui s’écroulent...Un clin d’œil au cartoon avec de multiples chutes et courses poursuites, enchaînant les gags frénétiquement, sans oublier quelques grossièretés d’usage.


L’aspect politique de la plupart de ces films et notamment Underground, (satire et dénonciation de la politique yougoslave), est ici présent en filigrane jouant de la violence des échanges par le biais de la farce, ou de cette scène où les marins russes arnaquent les riverains gitans venus faire affaire mais reste léger. De la dualité constante que l’on retrouve dans tous les rapports entre les personnages, de leur isolement, et par ces fameux deux chats, l’un blanc et l’autre noir qui révèle les antagonismes, démontrent le talent indéniable du metteur en scène à savoir rire de choses qui peuvent fâcher.


Le choix des acteurs est encore une fois inspiré. Des trognes patibulaires et des jeux jouissifs, on remarquera, Dadan (Srdjan Todorovic Underground ).Il est le gangster malhonnête qui essaiera entre manigances et fourberies, de mener à bien le serment fait à son père : marier sa sœur cadette, Coccinelle. Drogué, violent il est la caricature du parfait Caîd amateur de femmes et de clinquant.


Matko (Bajram Severdzan) n’est pas mieux loti, homme inexistant et sans saveur, il use de la contrebande russe et s’essaie à un gros coup. Détourner un train rempli d’essence entre Belgrade et la Turquie pour s’assurer une vie meilleure. Mais Matko va s’empêtrer dans les complications, sera trahi et n’hésiteras pas à utiliser son fils Zare (Florijan Ajdini) à ses fins le mariant avec Coccinelle, alors que Zare est amoureux de Ida. Et Coccinelle l’épouse promise, de très petit gabarit, tombera elle amoureuse d’un géant lors de sa fuite et n’arrangera pas les affaires de son frère !


Deux pépés un peu flingueurs sur les bords, anciens mafieux et amis de longue date, veillent au grain de cette communauté au bord de l’implosion, garants de la cohésion de cette grande famille excessive.


Et comme souvent, la musique permet de lier les éléments et nous projette dans une fable moderne, où le metteur en scène signe une ode à la vie, mélangeant les sons traditionnels à d’autres plus modernes ou encore nous offre « valse sur le Danube » lors d’une scène hors du temps…sur le Danube, évidemment.
Regorgeant de détails, jouant allègrement sur les plans multiples et une profondeur de champs nous permettant de ne pas nous perdre en lisibilité dans tout ce fouillis visuel, plans panoramiques, coupures de rythme, débit de paroles, objets survoltés, et moyens de transports variés, tous ont un rôle à part entière pour apporter ce dynamisme et ce rythme effréné à sa mise en scène débridée.
Un hommage au peuple tzigane, au cirque et au spectacle (n'hésitant pas à le parodier), nous proposant de merveilleux tableaux par un choix de décors, de couleurs, et de sons, avec une belle scène de découverte de l’amour au milieux des tournesols entre Zare et Ida ne peut que nous transporter dans cet élan de tendresse salvateur.


Entre calme relatif et lancement de grenade, tout le talent de Kusturica pour une comédie romantique joyeuse et rafraichissante.


Pour ceux qui aiment le décalage, l'espoir, les gags et la bonne humeur, je conseille
également la vie est un miracle, qui peut se situer entre le politique et le burlesque. Sous couvert du comique il remet ici toutes ses préoccupations pour son pays et pour la paix. Il parle d'amour et de choix mais encore une fois, il nous le propose avec un optimisme débordant et une mise en scène toujours aussi loufoque et énergique...sans oublier quelques animaux dans les premiers rôles.

limma
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le 13 août 2017

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limma

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