Critique publiée sur Kultur & Konfitur.
Ca commence comme une douce romance sociale. Charlot, vagabond de son état, devient le sauveur dune demoiselle en détresse (splendide Edna Purviance) face à trois brigands, les mettant en déroute. Du conte épique on passe tout de suite à celui du crapaud et de la princesse. Charlot, jusqu'alors sans le sou (figure qui fait son emblème), intègre alors une famille socialement plus élevée que la sienne, avec une jeune femme qui semble un ange tombé du ciel.
Pour avoir sauvé sa douce, sa récompense est "du travail", chose à laquelle Charlot ne semble guère habitué, il partage alors sa détresse avec le spectateur. Dans cette ferme, il y a donc la valeur travail, à laquelle notre ami est plus ou moins étranger (gaffes magistrales, comme celle de la traite, et conflit entre deux univers qui s'opposent), se laissant vivre avec les jours, ne se préoccupant que peu du lendemain. Charlot devient alors l'élément perturbateur de l'équilibre de cette ferme, l'élément qui risque de corrompre cette valeur travail,dans de savoureuses scènes à base de fourche et de fesses piquées. Il n'en faut pas plu : le diable est lâché dans le paradis de la ferme.
Labeur et l’argent du labeur
S'ensuivent des rebondissements qui font suite au retour des trois bandits du début, désireux de profiter du labeur des autres et souhaitant utiliser Charlot comme cheval de Troie. Rien ne se passe comme prévu, le film devient teinté, on pense d'abord à une opposition intérieur (sépia, la ferme) et extérieur (bleu, les marginaux) dont Charlot serait l'entre-deux, mais le bleu prend le dessus et s'invite dans la maison, présageant de son retour à la nature. Les brigands mis en fuite, le vagabond n'en sort cependant pas indemne et est pris en charge par sa bien-aimée, semblant se faire au rythme de la ferme, où il n'a plus à travailler, mais uniquement à profiter.
Dernier retournement, attendu et qui révèle l'incompatibilité des deux mondes, le fiancé de sa princesse revient, il se rend compte qu'il s'est fourvoyé et choisit, logiquement, le départ, quittant son rôle de perturbateur. Magnifique dernière scène de retour à la normale, où Charlot marche un temps en portant toute la peine du monde sur ses épaules, avant de reprendre son rythme, celui de vagabond... Jusqu'à la prochaine princesse en détresse, du moins.
Le Vagabond, c’est la naissance d’un personnage récurrent de Charlot, qui lui collera au corps de longues années. Démarche, moues, mélancolie rieuse, humour en demi-teinte, tout y est déjà. En une trentaine de minutes, Chaplin se met en scène et parvient à toucher au cœur, mêlant les émotions rieuses à d’autres plus tendres.