Chaaver par Melvin Zed

Le voila enfin, le très (très très) attendu Chaaver - "Mission suicide" en malayalam - le nouveau film de Tinu Pappachan, l'ex assistant de Lilo José Pellissery (Jallikkattu, Ee Ma Yau, Churuli etc...). Pappachan était arrivé à la réalisation en 2018 avec le plutôt sympathique Swathanthryam Ardharathriyil (j'ai fait un copier coller), mais avait surtout défoncé nos petits coeurs à coups de front kicks claquettes avec l'incroyable et survolté Ajagajantharam dont la mise en scène, la musique et l'intrigue articulaient une montée en puissance qui s'achevait dans un climax littéralement éléphantesque.

Bref, le revoilà donc avec cette "Mission Suicide" qui se penche sur 4 lascars qui viennent de commettre un meurtre, et qui doivent filer fissa, embarquant avec eux un pauvre gonze un peu naïf, et qui n'avait rien demandé.

Les tenants et aboutissants de cette chasse à l'homme se perdent dans les embrouilles locales où s'affrontent l'influence du Parti communiste aux croyances religieuses des villageois. Le pauvre type qui s'est fait découper à coups de machettes (Anthony "Pepe" Varghese, dans un délicieux cameo) ayant été choisi pour le prochain Theyyam, une cérémonie religieuse où un danseur, habillé et maquillé, incarne une divinité et pratique toute sorte de rites, de danses et prodigue conseils et bénédictions aux gens. C'est une coutume locale assez colorée que l'on a par exemple vu récemment dans l'incroyable Kantara, de Rishab Shetty.

Tout ça pour dire que le contexte est lourd, complexe et renvoie à tout un tas de choses qui me passent dans un couloir aérien bien au dessus de la tête, mais dont on perçoit, ici et là, la présence. Mais tout ça n'est pas très grave, au final, parce que cette histoire au scénario linéaire et particulièrement simple (une démarche plutôt étonnante vu le foisonnement narratif des deux films précédents de Pappachan) offre surtout au réalisateur et à son directeur de la photo la possibilité de réaliser un film ultra poseur, un peu formaliste, et où la couleur et les cadres prennent très souvent le pas sur la caractérisation des personnages et le développement de l'intrigue. En soit, c'est pas vraiment un souci, mais quitte à se borner à une classique histoire de trahison (la mafia étant ici remplacée "le Parti"), le film déçoit un peu car, aussi terrassant de beauté soit-il, Chaaver reste relativement timide en comparaison de son film précédent. Et puis, il faut l'admettre, même si les cadres d'une beauté stupéfiante s'enchainent pour notre plus grand plaisir, le climax - une fusillade - est un peu raté, un brin répétitif et surtout bien trop timoré. Reste quand même ces incroyables plans de forêt, plongés dans une brume épaisse, et qui rappellent parfois l'ambiance cotonneuse de Churuli de Pellissery. Bref, on retrouve quand même le Pappachan qu'on aime, ses plans de caméra fixée à la jeep, ses fameux plans aériens et ces véhicules qui traversent des ponts.

A nouveau, c'est Justin Varghese qui s'est occupé du score et, même si là encore on ne retrouve pas l'incroyable virtuosité d'Ajagajantharam, le compositeur nous offre quelques passages démentiels.

Au final, cette intrigue de tueurs traqués et aux abois reste, dans son propos, tout à fait classique, mais projetée dans le cadre du Kerala et des embrouilles entre les communistes et les religieux, porté par un cast au poil de barbus pas commodes, et magnifié par une mise en scène et une photo plus qu'enthousiasmante, Chaaver reste un film extrêmement agréable. Même si on aurait beaucoup aimé que ça soit encore plus radical, ou que le cadre politico social soit plus étoffé. Notons quand même pour finir le générique de fin, incroyable.

En tout cas, Pappachan, avec ses trois films, s'est imposé comme quelqu'un d'incontournable.