Splendide et attachante réunion de gueules pour une succession de saynètes globalement jubilatoire.

Le cinéma de Samuel Benchetrit est plutôt singulier. Il fait partie de ces auteurs avec un univers propre et défini qui en laissera beaucoup sur le bas-côté. Depuis son premier film et le plus facile d’accès, « Janis et John », il trace un sillon qui lui est propre, fidèle à ses obsessions lunaires et hors de toute mode. Avec « Cette musique ne joue pour personne », il nous offre son œuvre la plus accessible depuis longtemps, loin de ses derniers opus (« Chien » ou « Asphalte » en premier lieu) particulièrement complexes à appréhender, clivants et très peu grand public. Pas qu’il nous propose cette fois un film populaire ou visible par tous, il se trahirait. Cependant, sur la forme comme sur le fond c’est plus léger et bien plus facile à visionner. Le film est une sorte de chronique d’une ribambelle de bras cassés et de gentils losers située dans un Nord de la France désuet et intemporel. On oscille entre humour décalé et touches nostalgiques pour un long-métrage très attachant et bourré d’un charme rare. A la croisée des genres, par petites touches, sa comédie lunaire sous fond de polar nous touche en plein cœur à maintes reprises.


Il est vrai que « Cette musique ne joue pour personne » est davantage un collage de saynètes avec un léger fil conducteur, presque prétexte, qu’un film à la narration classique sans pour autant être un film à sketches. Comme un assemblage de plusieurs tableaux vaguement en rapport qui finalement aboutissent à une œuvre plus cohérente qu’elle n’y paraît à base d’art comme vecteur d’émancipation. Alors forcément il y en a de plus réussis que d’autres. Dans l’ensemble le cinéaste nous propose des séquences souvent très drôles, constituées d’un humour à froid et de répliques et situations iconoclastes qui restent néanmoins inscrites dans le réel. Mais avec une tonalité parfois absurde et loufoque que ne renierait pas Blier et consorts. Cette fois Benchetrit ne perd pas son spectateur en faisant un film presque égoïste et opaque. On sent qu’il veut lui faire plaisir même. Il y a pourtant certaines scènes qui sont inutilement étirées et d’autres qui ne fonctionnent pas comme celle de la gifle avec Vanessa Paradis. Mais cela donne un certain charme à l’ensemble, ces imperfections collant se fondant finalement bien avec le reste. Il se dégage une poésie autour de ces personnages, ce qui occasionne certaines scènes juste belles par leur simplicité quand d’autres sont carrément touchées par la grâce. On pense à cette déclaration d’amour déclamée par Valeria Bruni-Tedeschi les yeux fermés ou encore à la séquence finale qui voit tous les personnages dansant à une fête.


On adore aussi cette réunion improbable de gueules cassées du cinéma venu de tous horizons. Une distribution jubilatoire qui fait des merveilles, comme un cocktail d’acteurs de tous bords venus jouer une partition plus ou moins à contre-emploi et pleine de malice pour intégrer l’univers du réalisateur. Un réalisateur qui le leur rend bien grâce au regard empli de tendresse porté sur leurs personnages de pieds nickelés. Il s’est entouré de tous ses habitués, de petits nouveaux et de quelques potes qu’on imagine tous très contents d’être là sans qu’aucun ne se tire la couverture. Chacun a sa petite musique à jouer et semble être la star de son propre arc narratif. Ramzy Bédia confirme une belle sensibilité qu’on lui découvre de film en film, François Damiens n’avait pas été aussi touchant depuis « Ôtez-moi d’un doute », le duo composé de Joey Starr et Bouli Lanners nous gratifie des scènes les plus drôles du film avec pas mal d’éclats de rire sincères et enfin Gustave Kervern se révèle être l’as de cœur et la sève de « Cette musique ne joue pour personne ». Une œuvre unique, conforme au cinéma de son auteur, mais plus généreuse, tendre, amusante et mélancolique qu’à l’accoutumée. Il s’efforce aussi de délivrer un cinéma plus ouvert et moins hermétique à ceux qui feront l’effort de s’accorder à sa musique. Une belle surprise qui sort des sentiers battus avec de l’humour et de l’émotion comme on en voit rarement. Petit coup de cœur.


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JorikVesperhaven
7

Créée

le 3 nov. 2021

Critique lue 277 fois

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Rémy Fiers

Écrit par

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