Il est étonnant de voir que l'Ours d'or du festival de Berlin ne recueille à l'heure où j'écris ces quelques mots que deux notes. Peut-être le fait d'avoir eu accès à cette avant-première si avant-première (un peu plus d'un mois avant sa sortie tout de même) n'est-il pas innocent, toujours est-il que je vous le dis d'entrée: le film qui nous occupe aujourd'hui est un bon film, un film intéressant et par là même donc, un film à voir.
Du cinéma italien actuel je ne connaissais que l'impitoyable Moretti, les deux types en slip de Gomorra ou les reportages sur les mafias du sud de la botte qui gangrènent non seulement l'économie du pays mais aussi celle du monde entier (il faut le savoir). Depuis Berlusconi qui fermait déjà les cordons de la bourse aux réalisateurs, soutenu par une RAI qui suivait telle une girouette les courants politiques du moment, le cinéma italien me semblait résister dans les mains de réalisateurs ayant assez de bouteille pour s'auto-produire et faisant preuve de jugeote pour ne pas finir morts sur une plage comme d'autres l'ont expérimenté avant eux. Je recevais donc de la main d'une libraire passionnée de cultures étrangères deux places pour ce film dont rien n'était jamais parvenu jusqu'à mes oreilles, pas même le nom de ses réalisateurs dont personne semblerait-il, ne célèbre les louanges jusqu'ici (rappelons que pour vous, amateurs de cinéma lambada, le film n'est pas encore diffusé dans vos salles obscures). Je me guidais donc, ne m'attendant pas à grand chose si ce n'est à un peplum évidemment suggéré par ce titre évocateur (et tout de suite me revenait en mémoire le triste Agora de l'espagnol Alejandro Amenabar) ou extrapolant un poil, à une de ces histoires incestuesement homosexuelle entre un père et son fils; ce à quoi la forte densité de senior au mètre carré dans la salle me fit penser que non, sinon que les temps avaient bien changé. Que nenni, mon sens de juif en éveil (et je n'entends là rien de discriminatoire), je me précipitais donc à cette séance payante, devenue gratuite telle un don des dieux et me préparait à la surprise.

Cesare deve morire est un film (si si) qui rappelle à lui plus d'éléments qu'il n'en montre à l'instar de la montagne des montagnes de bobine filmée; j'ai nommé: Le Mépris. Ainsi que Le Mépris contenait en lui plus de dialogues possibles que la totalité des films alors réalisés, ce film italien renoue avec la recette des temps passés. Si Godard remettait en question l'adaptation cinématographique (doublement: de par celle qu'il fait du livre de Moravia qu'il considérait comme un roman de gare, et d'autre part par celle que son alter-ego -Paul Javal donc- doit faire de l'Odyssée), les bases de tout récit et de toute la culture occidentale (L'Odyssée tout de même! C'est une somme!), du cinéma par cette trichromie de l'oeil omniprésente dans le décor et par la compagnie de Fritz Lang, revendiqué en tant que père du cinéma pensant et dont Godard, jouant le rôle d'assistant plateau se place par là même digne héritier; non vraiment, Le Mépris, outre la déchirure d'un couple au coeur du berceau du cinéma italien (feu CineCittà) est un film qui soulève de plus de sujets qu'il n'en traite.
Ici, on reprend les mêmes cartes, et on mélange: Cesare deve morire est une réplique que l'on attribue au Sir Shakespeare et à sa pièce Jules César dont le film est somme toute une adaptation libre de sa version courte. Une adaptation à ceci près qu'elle est jouée non par des comédiens mais des taulards et pas des petites frappes si vous voyez ce que je veux dire. Dès lors, le film commence son double discours. Si la plupart sont incarcérés pour avoir fricoté avec la Mafia, les peines vont de perpétuité jusqu'au quart de siècle. Sans tomber dans le précipice du pathos pourtant tentant, le film taille son petit bout de chemin avec les répétitions (réelles) de ces criminels que l'on soustrait à leurs sombres heures, prouvant ainsi qu'il subsiste en eux, trafiquants de stup' ou tueurs, assez de bonne volonté pour changer et qui plus fort encore, malgré leurs dialectes propres, se substituent aux personnages qu'ils incarnent qui sont pourtant l'image d'eux-même (je ne sais pas si c'est clair?). Dans cette prison de haute sécurité de Rome, prend place petit à petit la mise en scène d'une pièce dont on loue la valeur. Ces hommes qui ont péché, revivent les crimes commis en 44 avant JC et dans leurs vies propres.
Plus fort encore que de parler de simples gangrènes qui pourrissent l'Italie, Taviani Brothers nous parlent du cinéma et plus loin, du théâtre dont il prend racine. Surgissent les ombres de Méliès et de l'expressionnisme allemand. Du théâtre filmé, de l'épuration des décors et du costume, pour en montrer plus qu'il n'y parait simplement au premier abord.
Nous regretterons que bien que l'expérience humaine prime dans la portée de ce film, les sujets sous-jacents soient balayés presque par peur de la représaille et que les éléments esthétiques (malgré ce superbe noir et blanc -justifié- qui caractérisent la mort des êtres libres à l'intérieur de ces couloirs) soient si peu présents (quelques surimpressions de ci de là pour constater l'enfermement). Je termine ce texte par cette citation tirée du film qui ne parle pas d'un art salvateur mais destructeur d'individu (ce qu'il est le plus souvent si je ne m'abuse):

"L'art a fait de cette cellule une prison."

Sur ce, faute de finals tonitruants auxquels je vous habitue, il ne me reste plus qu'à vous encourager à aller voir ce film de deux vieux schnocks qui n'ont peut être pas dit leur dernier mot.
Albion
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le 14 sept. 2012

Modifiée

le 14 sept. 2012

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Albion

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