Un point de départ original : dans les années 1980 au Royaume-Uni, Enid exerce la profession de censeuse de video nasties, des films sur lesquels elle doit appliquer des coupes et des recommandation adaptées au public (notamment l'interdiction au-dessous d'un certain âge). Elle est donc exposée, pour un salaire peu reluisant, à une quantité phénoménale d'images viscérales, à une surenchère de provocations à l'encontre des moeurs de l'époque (une profession qui fait, au fond, un peu écho aux censeurs d'Internet aujourd'hui).


Un beau jour, un producteur lubrique se présente à elle et lui confie un film dont il espère obtenir une classification favorable. Pour la première fois, le visionnage est éprouvant, parce qu'il la renvoie à un souvenir refoulé : celui du jour où sa petite soeur a mystérieusement disparu.


Prano Bailey-Bond offre alors une plongée vertigineuse à travers le deuil entravé par le sentiment de culpabilité d'Enid. Le personnage pratique la rétention, pour "préserver le monde", dit-elle, mais également pour garder enfouie l'horreur qui se terre au fond d'elle.


D'abord, un effet koulechov laissant au spectateur le loisir de se projeter à travers l'expression du personnage principal (comme l'a fait Hitchcock dans Fenêtre sur cour) : Enid est, en premier lieu, spectatrice. Elle projette, sur les images, ses angoisses et ses désirs, tout comme elle le fait à travers sa profession (retenir l'horreur pour préserver le monde, et ainsi, rejouer par procuration le jour de sa culpabilité, et triompher du moment où elle a échoué).


Elle franchira ensuite deux étapes : le passage de spectatrice à actrice


pour littéralement massacrer l'innommable


, puis celui d'actrice à metteuse en scène, pour ne laisser la place qu'à la projection des désirs.


En parallèle, un objet, là aussi, éminemment hitchcockien : les lunettes, pour filtrer les images qui nous sont présentées - soulignées par un geste récurrent, celui de les réajuster - mais qu'on enlève pour laisser l'oeil projeter librement.

Stellarvore
9
Écrit par

Créée

le 17 sept. 2021

Critique lue 1.1K fois

7 j'aime

2 commentaires

Stellarvore

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

7
2

D'autres avis sur Censor

Censor
RedArrow
7

Méta-censure

Incapable de reconnaître que la violence de sa propre politique se répandait à toutes les strates de la société, l'Angleterre thatchériste trouva un parfait bouc-émissaire en visant les "videos...

le 9 août 2021

6 j'aime

2

Censor
freddyK
4

Le Drame d'être Sans Sœur

Premier film pour la jeune réalisatrice britannique Prano Bailey-Bond, Censor est un film dont j'espérais beaucoup dans la mesure ou il avait pour toile de fond la censure dans l'Angleterre des...

le 6 févr. 2022

2 j'aime

Censor
Ezhaac
6

Elle censor bien

Film d'horreur psychologique britannique réalisé par un illustre inconnu, Censor rend hommage à un cinéma d'horreur vintage que je connais très mal. Avec une belle direction photo toute en néons...

le 3 févr. 2022

2 j'aime

Du même critique

Japan Sinks: 2020
Stellarvore
9

A la poursuite de l'espoir

Après avoir lu de nombreux avis négatifs sur cette série que je viens de terminer, je ressens le besoin de lui faire honneur. Je préfère vous prévenir d'emblée, cette critique contiendra du spoil...

le 8 oct. 2020

1 j'aime