Le film laisse une impression contrastée, avec des qualités évidentes, à commencer par sa photographie et ses acteurs, et ses défauts grossiers, à savoir un scénario abscons et des longueurs ainsi que quelques effets ratés.

Le sujet est pourtant passionnant, puisqu'il s'intéresse au Caravage et à son génie. On retrouve ici une thématique que l'on avait déjà vu dans le film Amadeus de Milos Forman, comment un être vulgaire peut-il être habité par un tel génie ? Parce que Caravage a une vie libre, que certains diront dissolue, et parce qu'il est l'un des plus grands maitres de la peinture italienne, tout le monde s'accorde sur ce constat dans le film : c'est le plus talentueux et le plus vil.

Vil il ne l'est pourtant pas vraiment. D'ailleurs son pire défaut, qui est une propension à la violence, ne semble guère déranger l'Eglise. Il est pourtant coupable d'un meurtre - dans le cadre d'un duel avec un homme peu défendable. De la même façon, sa sexualité, tant qu'elle reste discrète, ne saurait davantage la troubler, les cardinaux étant eux-mêmes baignés dans les moeurs les plus légères comme montré dans le film. Non, ce qui dérange, c'est qu'il fait des prostituées de Rome, des séniles, des bandits, des figures de saints et de madones. Ses scènes bibliques sont les portraits des vrais gens, du peuple. Son art est politique, et c'est ce qui irrite l'Eglise. La plus grande force du film est qu'il nous fait sentir ce point de vue artistique. Quelques scènes décrivent ses toiles de façon très pertinentes, notamment l'usage de l'autoportrait. Caravage se veut un peintre du réel. Un des cardinal le résume ainsi : il ne montre pas la mort telle qu'elle est dans l'au-delà, mais telle qu'elle l'est sur terre. Il nous renvoie à notre humanité et à sa finitude. Pour le maitre italien, c'est dans la misère que se tient la vérité du Christ. C'est le peuple qui a son visage. Les Évangiles sont des oeuvres populaires aux personnages populaires (des pauvres, des prostituées, des orphelins...). Il a compris ce que l'Eglise, empêtrée dans des schismes et des scandales, ne voit plus.


Ainsi, accusé de meurtre, Caravage a fui Rome pour Naples. Le Pape est prompt à le gracier - comme on le faisait pour nombre de criminels de haut rang à l'époque - mais il envoie un enquêteur (Louis Garrel) se renseigner sur sa vie. Ce dernier conclut au génie artistique mais à sa dépravation morale. Oscillant entre admiration et dégoût, il pourchasse, comme une ombre, titre italien du film, le peintre, interrogeant ceux qui l'ont connu, sa mécène Colona, éprise de lui (Isabelle Huppert), ses modèles, ses amants et amantes mais aussi ses ennemis (un peintre de l'académie, qui l'admire et l'exècre). Il croise des figures libres, puissantes, qui ont des airs de tableaux. D'ailleurs, la mise en scène reprend le style du peintre : du ténébrisme, du baroque par moment avec des contrastes de couleur, de la violence aussi, et des visages difformes, très marqués. C'est parfois très réussi, comme la Mort de la Vierge, très bien mise en scène. L'enquêteur ne comprend pas Caravage, sa fascination pour le peuple et les vissicitudes humaines. Une prostituée, modèle du peintre lui répond : "Dans sa peinture, je suis la Madone pour l'éternité", et en est fière devant le jeune et austère enquêteur papal. Une jeune peintre également, libre au point de peindre du religieux, ce qui lui est interdit, témoigne de l'avance du Caravage et de ses idées sur son temps. D'ailleurs, le film force le trait lorsqu'en prison, le maitre croise le chemin de Giordano Bruno, un célèbre moine qui a défendu ces thèses trop en avance sur l'Eglise et qui a fini exécuté pour cette raison.

De là, naissent les problèmes : d'abord, la présence de deux acteurs français qui forcent les traits d'un italien qu'on croirait doublé sur leurs lèvres. La production franco-italienne semble avoir imposé deux figures du cinéma français pour vendre le film en France mais le tout parait bancal, tant, à côté, Riccardo Scarmarcio en Caravage est convaincant et juste - encore un excellent acteur italien, déjà présent dans des films de Sorrentino - ainsi que tout le casting italien. Il y a aussi une lourdeur dans les répétitions et les flash back, - on se perd dans la chronologie -, dans la contextualisation du peintre, dont on ne sait presque rien. La fin dessine une confrontation entre Garrel et le peintre, chacun se disant ses quatre vérités de façon peu crédible et la mort du peintre apparait saugrenue et soudaine, surtout qu'elle n'est mise en scène ici que pour coller aux tableaux et meurtres présents sur les toiles du maitre et non sur l'histoire vraie - alors que le film suit plutôt bien la biographie du peintre. Certaines choses sont totalement éludées : l'attachement de la famille Colonna, l'ordre de Malte. On présente Le Caravage comme un misérable d'un côté et comme un homme puissant de l'autre et les liens avec les trop nombreux personnages du film sont difficiles à établir par moment. On notera aussi quelques fautes de goût, sur la musique et l'image, parfois très moderniste, bien qu'il y a un effort de décors - Rome toujours aussi belle, dans les ruine des thermes de Caracalla notamment, de costumes et de lumière.

En réalité, le film emprunte au peintre son ton et son style. Par bien des aspects il est baroque, lugubre, ténébreux. Par d'autre, il est réaliste, austère, classique. Mais il donne surtout un sentiment très mitigé, entre l'évidente beauté de plans tout droit sortis des toiles des plus grands, et les dialogues et situations peu crédibles qu'il dépeint. On peine à comprendre la finalité du film, son objectif. L'ensemble est donc contrasté, clair-obscur mais aussi sfumato, vaporeux, flou, peu limpide.

Tom_Ab
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le 29 déc. 2022

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Tom_Ab

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