Après la Fox et son Deadpool (et avant X-Men : Apocalypse), après le Batman V Superman de DC et Warner Bros., c’est au tout de Marvel Studios de faire son entrée dans une année déjà surchargée en terme de films de super-héros. La firme, toujours sûre de son coup et forte d’une estime critique et d’un succès commercial toujours au rendez-vous, entame la “phase 3” de son vaste projet d’univers partagé filmique par Captain America : Civil War. D’ores et déjà succès critique et commercial incontestable, le film respecte scrupuleusement les attentes des fans, mais où est le cinéma là-dedans ?


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Difficile d’échapper au raz-de-marée Marvel Studios. Depuis la sortie d’Iron Man en 2008, le studio a savamment mis en place la construction de son univers partagé filmique, long-métrage après long-métrage. Une organisation en “phases” dont la construction rappelle davantage celle des comic books que ce qui était précédemment d’usage dans le genre au cinéma, avec un découpage en séries indépendantes, propres à chaque héros, se déroulant toutes dans un seul univers et étant amenés, éventuellement, à se rencontrer. Le Marvel Cinematic Universe, ce sont Iron Man, Captain America, Thor, Hulk mais aussi Ant-Man ou les Gardiens de la Galaxie et bien entendu les rouleaux compresseurs du box-office que furent les deux Avengers. La pratique est incontestablement payante : Marvel a très vite su fidéliser un public, forcément au rendez-vous à chaque nouvelle sortie en salle du studio, tout en caressant les fans des comics originaux dans le sens du poil.


La raison du succès des différents films du MCU est aussi son plus gros défaut : les oeuvres sont calibrées pour répondre à un cahier des charges extrêmement précis, il faut inclure tel personnage, telle storyline et maintenir une logique de cohérence globale et de décalage minimum entre les oeuvres. La prise de risque artistique est prohibée, en témoignent les choix de réailsateurs effectués par Marvel, entre honnêtes faiseurs hollywoodiens (John Favreau, Joe Johnston), auteurs intéressants mais complètement bridés (Kenneth Branagh, Shane Black) et réalisateurs issus de la télévision (Joss Whedon, Alan Taylor). C’est à cette dernière catégorie qu’appartiennent les frères Anthony et Joe Russo, connus pour leur travail sur Community et Arrested Development et propulsés par on ne sait quel miracle à la réalisation de Captain America : Le Soldat de l’hiver.


Le second volet des aventures du Cap’ avait été acclamé pour son approche sobre et presque “film d’espionnage” du film de super-héros, le public ayant vraisemblablement pris sa photographie morne et sa shaky cam maladroite pour des choix artistiques audacieux. Captain America 2 était bel et bien le premier du MCU à aborder un vrai fond politique : cette fois-ci la menace venait de l’intérieur et semblait émerger des dérives d’une société trop portée sur l’ordre et la sécurité. Le film sabotait hélas lui-même ses enjeux en faisant de ses grands méchants d’énièmes nazis à la solde de l’organisation secrète Hydra, il ne faudrait pas non plus proposer au public quelque chose d’un tant soit peu complexe et ambigu. Quelque part, Le Soldat de l’hiver était un aveu d’échec, un manifeste de l’incapacité de Marvel Studios à proposer autre chose que des aventures rigolotes et plus ou moins divertissantes.


Cependant, le succès critique et commercial du film permet aux deux frères de rester au poste de metteurs en scène pour réaliser la suite. Premier film de la “Phase 3” du MCU, Captain America : Civil War s’inspire librement d’un évènement cross-over publié par Marvel Comics entre 2006 et 2007 et également appelé Civil War. On y assistait à un déchirement entre les différents héros de l’univers Marvel suite à un projet de loi forçant tout super-héros à déclarer ses pouvoirs au gouvernement. Le film emprunte une base similaire. Après les évènements d’Avengers : L’Ere d’Ultron, ayant amené à la destruction d’une ville entière d’Europe de l’est, les pratiques des Avengers sont remises en cause. On leur reproche une politique interventionniste peu scrupuleuse des dégâts collatéraux causés aux locaux. L’ONU propose un acte selon lequel les Avengers seraient régulés par les Nations Unies et donc non autorisés à agir en dehors du joug de l’organisation. Parmi les Avengers présents dans le film (c’est-à-dire tout le monde sauf Thor et Hulk), certains sont pour la motion, menés par Iron Man, et d’autres contre, avec en chef de file Captain America.


Premier constat : on est plus ici face à un Avengers 2.5 qu’à un Captain America 3. Si Steve Rogers est au centre de l’intrigue, chaque membre de l’équipe s’autorise une portion de temps à l’écran, et en particulier Iron Man qui fait pour le coup jeu égal avec son collègue au bouclier. Second constat : cette idée de confrontation entre deux héros prenant pour toile de fond un conflit d’ordre idéologique sur les limites du super-héros dans un contexte contemporain n’est pas sans rappeler un certain Batman V Superman, sorti un mois plus tôt. De là à croire que cette confrontation au sommet entre DC et Marvel était planifiée, il n’y a qu’un pas. Et, inévitablement, là où Batman V Superman subit un lynchage critique en règle, Civil War est couvert de lauriers et semble déjà s’être trouvé une place au panthéon du film superhéroïque. Les deux films partagent pourtant nombre de défauts en commun et le dernier Marvel, derrière son cahier des charges et ses mécaniques bien huilées, dissimule la même vacuité artistique que son rival.


Le soucis principal du film est sans doute l’absence totale de poids dans les enjeux motivant le conflit principal. La question des dommages collatéraux et de la légitimité de régulariser les super-humains est bien présente mais traitée avant tout comme un motif pour lancer le récit, sans être réellement approfondie. Les Avengers ont une réunion au cours de laquelle chacun choisit son camp, de manière parfois assez aléatoire, et puis la question n’est plus jamais traitée. Ce qui sert de moteur principal à l’histoire, c’est avant tout le sort de Bucky, ancien camarade d’armes de Steve Rogers ressuscité en Soldat d’Hiver dans le film précédent. Accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, il est traqué par l’équipe d’Iron Man tandis que Captain America le protège tout en tentant de découvrir qui se cache derrière la machination. L’enjeu principal de ce grand conflit superhéroïque est donc un personnage totalement transparent, dont la relation avec Rogers demeure superficielle à l’écran et tout aussi fonctionnelle que le reste de l’écriture du film. De plus, comme Le Soldat de l’hiver, le film renonce à tout traitement politique sérieux en situant comme source de son opposition principale un énième vilain cherchant à semer la zizanie chez les Avengers. Tout va bien donc, il n’y a pas de vrai déchirement entre Iron Man et Captain America, tout est l’oeuvre des grands méchants.


Le film prend même parti, de manière assez douteuse, pour le point de vue de Captain America, qui réclame une autonomie totale sous prétexte qu’il sauve plus de vies qu’il n’en met en danger. A côté, l’ONU est diabolisée et tournée en ridicule, allant forcément trop loin et se montrant déraisonnable dans son désir de contrôle, au point d’aliéner même les défenseurs de la fameuse loi. On ne peut que se montrer dubitatif face à un sous-texte politique si douteux là où la question du rapport à la loi des super-héros a déjà été traitée de manière tellement plus riche dans des oeuvres comme The Dark Knight ou encore Watchmen. Ici, rien n’est enrichi, rien n’est nuancé, qu’il s’agisse du “fond” du film ou des motivations des personnages, tout reste d’une triste superficialité.


Autre malheureux point commun avec Batman V Superman : le trop-plein. On l’a dit : Civil War ambitionne à la fois d’être un Captain America 3 et un Avengers 2.5. Le film traite d’un trop grand nombre de personnage dont la moitié ne semble de toute façon cantonnée qu’à des rôles de figuration. Tous les “nouveaux Avengers” sont bien là, toujours aussi lisses que dans L’Ere d’Ultron et enfermés dans des rôles de faire-valoir pour les deux protagonistes principaux. Mais le film ne s’arrête pas là et pousse le vice jusqu’à introduire de tous nouveaux personnages jusque là absents du MCU. Black Panther semble être un héros potentiellement intéressant mais aurait sans doute gagné à faire d’abord l’objet d’un film solo (en fait prévu pour 2017). Spider-Man, suite à un accord entre Marvel Studios et Sony, est enfin intégré à l’univers partagé mais son introduction tombe comme un cheveu sur la soupe, l’écriture du personnage comme le choix de l’acteur Tom Holland peinent à faire oublier l’étincelante vision du tisseur offerte par Sam Raimi. Et que dire d’Ant-Man, dont l’apparition totalement aléatoire au cours du film est aussi inexplicable que ses motivations à se lancer dans cette triste joute superhéroïque ? D’une manière générale, aucun des personnages secondaire ne semble avoir de vraies raisons de se battre et ne semble rejoindre la lutte que par hasard ou vague affinité envers Captain America ou Iron Man. Difficile de vibrer quand tout ce beau monde s’affronte avec une implication émotionnelle à ce point absente.


Derrière la caméra, pas de miracle : les Russo sont toujours d’indécrottables incompétents. Le film souffre d’un manque total d’intentions de mise en scène : les choix de découpage sont anecdotiques au possible, la photographie ne dépasse pas celle d’un reportage animalier petit budget et l’ambition est globalement aux abonnés absents. Difficile de rendre la fameuse mêlée voyant s’entrechoquer tous les super-héros en présence moins épique qu’en la situant dans un pauvre aéroport abandonné. Le sens de la grandeur, du spectacle, de la démesure propre à pareil affrontement est tout simplement inexistant ici. Le pire étant la mise en scène de l’action en elle-même : les réalisateurs font le choix d’une shaky cam “réaliste” (comprenez caméra qui tangue dans tous les sens et montage épileptique) absolument pas maîtrisée. Un choix de paresse ? Un parti pris pseudo artistique ? Quelle qu’en soit sa cause, l’effet est raté et rend illisibles des affrontements aux chorégraphies pourtant sympathiques.


Il va sans dire que Marvel Studios sait comment remporter l’adhésion générale, quel personnage introduire,quelle punchline placer à quel endroit, quelles péripéties mettre en avant… Scrupuleusement calculé et étudié pour plaire à un large public aux attentes bien définies, Civil War demeure un avatar total de non cinéma. Entre intrigue prétexte, personnages fonction et réalisation insipide, on ne dépasse jamais le stade du vague téléfilm du dimanche soir. L’incarnation parfaite d’une triste époque où la quantité de productions superhéroïques au cinéma n’a d’égale que la pauvreté de leurs ambitions.

Créée

le 26 mai 2016

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Yayap

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