Cannibal Holocaust est encore considéré aujourd'hui comme l'un des long-métrages les plus controversés de l'histoire du cinéma. De ce fait, en parler provoque plusieurs réactions possibles, et parfois excessives.


Le film de cannibales est un sous-genre de l'horreur ayant vu le jour dans les années 1970 avec Le Dernier Monde Cannibal (1977) de Ruggero Deodato. Le cinéaste est également le réalisateur de notre film du jour, sorti en 1980. Cannibal Holocaust fut donc le long-métrage ayant popularisé et lancé la mode de ces films réputés extrêmes qui donneront par la suite des oeuvres telles que Cannibal Ferox (1981) d'Umberto Lenzi. De manière générale, si vous êtes curieux et possédez un estomac bien accroché, je vous invite à vous intéresser aux "Mondo Movies".Je précise que des spoilers seront présents au cours de ce texte, mais qu'il n'est pas vraiment problématique selon moi de se faire révéler l'histoire de cette oeuvre si particulière.


Ruggero Deodato a bouleversé le monde cinématographique à l'époque de la sortie du film. Il s'agit d'une oeuvre à scandale ayant été cherché l'un des concepts les plus dérangeant pour l'humanité (et que je trouve pour ma part absolument terrifiant) : l'anthropophagie. Le récit nous propose de diviser l'histoire en deux parties distinctes :
- la première nous permet de suivre une équipe, menée par le professeur Monroe, partant à la recherche d'un groupe de jeunes journalistes étant entrés en contact avec une tribu cannibale dans la jungle amazonienne; ils retrouveront des bandes vidéos tournées par les journalistes.
- la seconde, que l'on pourrait ironiquement qualifier de "plat de résistance", va se situer à New-York, alors que des producteurs visionnent les pellicules retrouvées en se demandant comment les exploiter pour un large public.


La première partie du film est fascinante, du fait que nous sommes au même niveau de compréhension que Monroe. Il découvre un monde de jungle que nous pourrions qualifier d'enfer amazonien, c'est une véritable plongée hors des limites de notre humanité physique et psychologique, un monde hors du temps. L'équipe va rencontrer la tribu indigène ayant supposément assassiné les journalistes étant entrés précédemment en contact avec eux. Monroe tente d'agir avec un certain respect et, malgré les horreurs auxquelles il assiste (viols, anthropophagie...), il ressort indemne physiquement de cette expérience, mais restera marqué par les événements. C'est durant la seconde moitié du métrage (le visionnage des pellicules) que les concepts et les directions prises par le cinéaste commenceront à émerger.
Deodato dénonce l’homme comme le véritable monstre du film dans cette seconde partie. Les jeunes journalistes ont en fait incendié une partie du village des indigènes, violé l'une d'entre-elles et profané la jungle et leur territoire. Le tout menant finalement à des représailles de la tribu dans l'explosion de violence de la scène de massacre finale.


Le cinéaste ne se contente pas de simplement opposer les "gentils indigènes" aux "méchants hommes blancs". Il critique le colonialisme, mais questionnera surtout notre rapport et celui de la société de consommation à la violence. Le fait d'avoir choisi des journalistes comme personnages centraux du film n'est d'ailleurs pas anodin. Ce sont eux qui, aujourd'hui plus que jamais, sont en recherche constante du subversif et de sujets sanglants abreuvant constamment le public. Peut-être que ce que nous annonce (et dénonce) Deodato, c'est, quelque part, la mort du journalisme.
Notre société est en recherche constante de violence et de sa limite, entre crainte et fascination. Le cinéaste décide ici de jouer avec ces éléments et critique notre soi-disant civilité, et nous implique également humainement dans le long-métrage. Utiliser le concept de la caméra subjective pour filmer l'action est profondément intéressant. Tout d'abord, cela nous contraint à assister à des images se voulant profondément réalistes, en outre le métrage questionne notre capacité à tenir le coup face à des séquences de plus en plus atroces. Cannibal Holocaust n'est pas le premier film à utiliser la caméra subjective, mais il est en revanche le premier à l'utiliser de cette façon précise.


En questionnant nos limites, Deodato va mettre à mort des animaux à l'écran de façon à plonger le spectateur au plus profond de notre psyché humaine. Il expose également des séquences qui, au mieux, comportent une tension sexuelle, au pire, des viols explicites. Baser son histoire sur un "found-footage" complètement incrusté dans la diégèse de film fascine et sera d'ailleurs réutilisé plus tard dans The Blair Witch Project (film m'ayant d'ailleurs traumatisé plus jeune) et Paranormal Activity. Cependant, aucun n'aura le même mode d'utilisation que Cannibal Holocaust. Deodato dépassera ici les limites de (normalement) à peu près tout le monde.


Durant la seconde partie du métrage, nous serons face à ces producteurs voulant faire des bobines de pellicule un objet commercial. Ils visionneront alors le résultat accompagné par Monroe (qui a donc déjà vu les bandes). Il est incroyable de constater à quel point le discours de Deodato est pertinent dans sa façon de traiter le sujet. Les producteurs sembleront pratiquement insensibles aux horreurs qu'ils visionneront, qui seront pourtant les mêmes images que nous-mêmes aurons vu. Ils font régulièrement des pauses et semblent toujours prêts à commercialiser le film, ce à quoi le professeur Monroe répondra : "Vous n'avez pas encore vu la fin". Justement, le final mettant en scène le massacre des journalistes sera le dépassement de leurs limites. Symboliquement j'y vois comme la frontière de ce qui est montrable, et donc, la limite de l'information et de la violence.
Tous les tabous sont présents de façon extrêmement réaliste : violence, viols, tripes, castration... Chaque élément est montré avec une froideur et une brutalité glaçante. L'assassinat du journalisme est donc la limite du montrable, comme si la limite même de l'information était sa propre destruction et sa propre mort. Deodato a conscience de construire un film extrêmement violent qui atteint en fait les limites de la résistance psychologique de l’homme, comme s'il était désormais impossible d'aller plus loin.


D'un point de vue technique, Cannibal Holocaust souffre parfois de quelques lacunes de réalisation. Cependant, cela justifie à mon sens l'aspect profondément réaliste se dégageant du film, le rendant très dur à regarder, encore aujourd'hui. La bande originale de Riz Ortolani est magnifique et alterne entre des instants de calme et d’autres de violence animale. Le thème principal est une réussite et propose des sonorités nous évoquant des concepts comme l'ironie, la peur, mais aussi la beauté (c'est cadeau : https://www.youtube.com/watch?v=GCYndZn6wuk).


Le film connut également un grand nombre de problèmes juridiques participant à la légende du métrage dont il convient de parler. L'aspect très réaliste de Cannibal Holocaust lui valut la réputation d'avoir tué réellement ses acteurs à l'écran, transformant ainsi le projet en un véritable Snuff Movie. Le cinéaste sera alors conduit jusqu'au tribunal pour s'expliquer et prouver que ses comédiens étaient bel et bien vivants. On apprit alors que le réalisateur avait fait signé un contrat à ces derniers afin qu'ils disparaissent une année complète de la circulation afin d'être présumé morts. Le cinéaste prouvera donc que tout était faux et que même les cannibales étaient donc des comédiens. Ruggero Deodato peut estimer avoir réussi à bluffer tout le monde et avoir réussi son coup… et bien pas tout à fait.
Si les éviscérations, meurtres et viols étaient bien des simulations et de la pure mise en scène, les meurtres d'animaux étaient bien réels. C'est bien entendu un élément que je ne pardonne pas, mais il faut admettre malgré tout que le réalisme est poussé dans ses derniers retranchements et que cela renforce l'aspect poisseux du titre. Que l'on soit clair, je n'ai que mépris et je ne prends aucun plaisir pour ces atrocités animales, mais je ne fais que constater le résultat à l'écran.


Cannibal Holocaust n'est pas le film le plus violent ou le plus gore qui existe, comme le disent certains. Il est certes extrêmement dur, visuellement et psychologiquement, mais cette réputation lui vient de son réalisme dérangeant et de son discours extrêmement noir sur le monde et par ce point, il va encore plus loin dans les limites de notre inconscient. Nous sommes asphyxiés par ce film immense et assurément culte. J'ai personnellement découvert cette oeuvre à 13 ans et je ne pense pas m'en être un jour remis, dans tous les sens du terme. Deodato nous offre un produit viscéral et hallucinant dans le cinéma bis, qui influencera nombre de cinéastes (Quentin Tarantino, Eli Roth...) et marquera le cinéma à tout jamais.

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