Cafe Flesh
6.2
Cafe Flesh

Film de Stephen Sayadian (1982)

Second film de la journée, chose assez rare pour moi. Je pense que c’est la lecture de Distorsion X, qui m’a fait découvrir Stephen Sayadian tout à l’heure, qui m’a donné une soif de découverte. Après Nightdreams vu cet après-midi, j’ai donc attaqué Cafe flesh, seconde incursion de l’ancien directeur artistique d’Hustler dans le monde du cinéma, sauf qu’il est réalisateur cette fois.
Pour son premier long-métrage, Sayadian ne comprenait pas le refus des actrices abordées pour jouer le rôle principal. Il pensait simplement faire du porno, mais de qualité supérieure aux autres, ne se rendant vraisemblablement pas compte de la bizarrerie de son œuvre. Il a ouvert les yeux une fois Nightdreams sorti en salle, quand le dirigeant d’un cinéma a rapporté que c’était la première fois que les spectateurs exigeaient d’être remboursés.
C’est sûrement en ayant davantage conscience qu’il ne faisait pas du porno traditionnel que Stephen Sayadian a pensé ce Cafe flesh, qu’il décrit dans son interview pour Distorsion comme un "film érotique anti-érotique" ; donc cette fois, plus question de se préoccuper de faire bander son public !


Café flesh est un porno post-apocalyptique et dystopique. C’est pas banal. A une époque où le SIDA commençait à apparaître, Stephen Sayadian a eu l’idée d’un monde divisé entre les Positifs et les Négatifs sexuels, ces derniers ne pouvant supporter le toucher d’autrui sans en être malades. Or le Café flesh est un club qui leur est destiné, et leur permet de voir des Positifs baiser sur scène.
Le public est composé de ces gens qui ont connu une époque où ils pouvaient consommer leur union avec l’être aimé, où ils pouvaient succomber à leurs désirs, mais maintenant, ils ne peuvent plus qu’imaginer ce que donnerait un contact physique. Le simple concept d’une vie de couple banale est devenu pour eux un luxe qu’il leur est impossible d’atteindre. Alors quand le présentateur du Café annonce un tel spectacle, je m’attendais à une représentation dont la sobriété reflèterait la misère des Négatifs.
Je n’imaginais pas un tel délire musical, surréaliste et psychédélique, où un homme-rat saute sa femme devant une rangée d’hommes barbus qui jouent des bébés.
Ce qui est ironique, c’est que des personnages parmi les spectateurs commentent en disant que c’est too much.
Mais en fait, peut-être que l’idée est d’offrir une vision déformée d’une civilisation défunte, à partir des souvenirs qu’on en a. C’est du moins ce que me fait penser la séquence où un PDG à tête de crayon fourre sa standardiste, pendant qu’une secrétaire demande machinalement s’il veut qu’elle rédige un mémo…
Et il faut imaginer ça sur une BO pop 80’s ou de l’électro hypnotique.


C’est hautement absurde et comique, mais il n’empêche que la mise en scène de ces spectacles est sophistiquée, très évocatrice du soin qu’on pourrait apporter à une composition photographique, ce qui vaut aux représentations du Café flesh l’appellation de "tableaux".
Les lumières et costumes sont très colorés et soignés, et cette esthétique crée une ambiance particulière, qui élève Café flesh au-dessus des pornos ordinaires, pour se retrouver au niveau, je dirais, d’une honnête série B de SF. Ca se voit que Sayadian a bénéficié d’un budget plus confortable (60 000$), et heureusement qu’il n’a pas été pour autant brimé dans sa créativité.
Le type qui joue le présentateur du Café est plein de dynamisme et de charisme, et ses textes pleins de verve donnent de la crédibilité à son rôle, et par conséquence de la consistance à ce club imaginaire. Etonnamment, ce n’est pas un acteur traditionnel, du moins il a joué uniquement dans du porno (même si pas toujours dans des rôles sexuels), tandis qu’une véritable actrice a été castée pour un autre rôle important, Michelle Bauer, fameuse scream queen, et qui est ici la seule à utiliser une doublure pour les plans de pénétration.
Le reste du casting, aux talents d’acteurs inégaux, compensent par une intonation volontairement peu naturelle.


Curieusement, il y a quelques scènes sérieuses, et qui ne fonctionnent pas trop mal. Les scénaristes ont choisi de traiter de la relation entre deux Négatifs en couple, et qui ne peuvent résister à l’envie de se toucher, malgré la souffrance. "Why torture ourselves ?" – "Torture is the only thing left I can feel" ; c’est un dialogue étonnamment juste, et que je ne m’attendais pas à trouver dans un film pareil.
En revanche, je trouve cette intrigue assez maladroitement traitée au final, tout comme les autres histoires du Café flesh, dont les personnages et l’univers ne sont qu’esquissés le temps d’une scène ou deux. On en apprend même très peu sur le contexte général : on ne sort pratiquement jamais du club, et on ne sait pas comment est le monde à l’extérieur.
Le film comporte beaucoup de faux-raccords et diverses infractions aux règles de montage ou de mise en scène, mais ce qui me gêne le plus, c’est que Café flesh s’affranchit de toutes les règles du porno, sauf celle qui fait qu’on le classe encore dans la catégorie du porno : les séquences de sexe. Et là, comme dans Nightdreams, c’est classique dans la forme étant donné que c’est ce sur quoi on s’attarde le plus longtemps, malgré la répétitivité de ce va-et-vient.
C’est de là essentiellement (mais pas seulement) que le film souffre de longueurs, alors que, comme je le disais, d’autres choses auraient méritées d’être plus développées.


Café flesh est un film très bizarre, très atypique, mais encore inégal. C’est quand même un pas en avant vers Dr. Caligari, la réalisation suivante de Stephen Sayadian qui, pour le coup, n’est plus porno, et que j’espère apprécier davantage.

Fry3000
5
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le 13 déc. 2015

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Wykydtron IV

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