Cabaret
7.4
Cabaret

Film de Bob Fosse (1972)

If you could see her through my eyes, she wouldn't look jewish at all

Je craignais personnellement de tomber sur un film à l'eau de rose, ces comédies musicales gentillettes, et suis restée avec l'impact d'une gifle. Le film est une immersion dans un de ces tableaux du mouvement expressionniste allemand, que le parti nazi a simplement appelé "Art dégénéré" (Entartete Kunst). Il s'ouvre sur un cabaret de Berlin, et la caméra se fige sur une femme incarnant trait pour trait le fameux portrait que fit Otto Dix de la journaliste Julia von Harden. Et ne quitte pas de cette atmosphère étouffante, écoeurante, enivrante, toxique, nauséabonde, peuplée de plumes multicolores, de paillettes, de volutes de fumée de cigare, de rires gras, de portes-jartelles visibles, de rouge à lèvres qui déborde sur des dents jaunes, de perruques mal ajustées, de jambes couvertes de varices.
En dehors du cabaret, les rues aux couleurs grises évoquent le puritanisme et la rigueur collective propre aux temps de crise économique. Un portrait de l'antisémitisme est brossé ici sans jamais en montrer la force centrale. Seules les bordures du cadre nous sont montrées: les débordements, les conséquences, ce premier visage qui séduit la population. Le nazisme apparaît par touches, en frappant sans crier gare et de façon toujours inattendue: un jeune garçon chante par un bel après-midi ensoleillé, enchantant une terrasse entière. La caméra s'attarde sur la tendresse de son expression, avant de descendre suffisamment pour nous montrer son brassard des Jeunesses Hitlériennes. Une chanson au cabaret où l'homme chante aux côtés d'un faux gorille leur amour incompris: "If you could see her through my eyes... ....she wouldn't look jewish at all."
Le seul air respirable se trouve aux côtés de Natalia Landauer (Marise Berenson), jeune fille juive issue d'une famille richissime, dans son idylle avec un élégant gigolo enfin tombé amoureux, et prêt à mettre sa vie en péril pour l'épouser et rester à ses côtés.
Liza Minelli est partie intégrante de ce cabaret où elle travaille, et se situe entre ces deux univers opposés: elle est l'élément du spectacle qui transforme ces décors de luxure et décadence en splendeur et gloire, l'espace de quelques chansons qui sont des chefs-d'oeuvres d'interprétation. Le film clôture sur une bouffée d'espoir et de paix provisoire, laissant déjà entrevoir l'après-guerre: le film se termine sur des adieux dans une gare, marquant le commencement de deux chemins différents, comptant chacun sur sur sa chance et sa jeunesse.
Timoroumenos
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le 25 févr. 2014

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