C'est du bruit
C'est du bruit

Court-métrage de Pauline Laplace (2015)

J’ai rarement vu un film aussi mauvais. Un film témoin de certaines dérives d’auteurs issus de catégories sociales favorisées qui se sentent proches des pauvres gens et croient possible de parler à leur place. Des réalisateurs qui se sentent investis de la mission de donner la parole à des gens souvent caricaturés et tenus à l’écart des médias, par exemple des habitants de cités, et qui ont donc ici pour ambition de donner une image positive d’une banlieue qu’ils croient connaître. Mais inconsciemment, ces auteurs proposent en fait un discours méprisant sur ces gens, paternaliste malgré des intentions louables.


Le film commence par une phrase inscrite en blanc sur un fond noir : « Afin de commémorer la première guerre mondiale, une tranchée est creusée dans toutes les banlieues françaises » et puis le film commence, mais on ne saura rien de plus de cette initiative et de ses fondements même si on peut imaginer que Pauline Laplace souhaite se gausser de la commémorationnite aigüe qui touche en ce moment le pays au sujet de ce conflit.


On est à Nanterre, dans une cité, une tranchée sera édifiée au centre d’un petit parc. Les travaux commencent, et les badauds commentent la situation. Un gars plus âgé explique à des jeunes : ils vont faire une tranchée puis « ils vont mettre une grosse plaque : 14-18, Napoléon ». Pourquoi lui fait-on dire ça ? Pour pointer l’inculture historique des banlieusards ? C’est pourtant ici un homme qui semble détenir une forme d’expertise face aux jeunes. Je trouve que ça n’a strictement aucun intérêt de lui faire dire ça, de lui faire débiter cette ânerie. Pour habiter en banlieue, dans une cité comme on dit, je peux vous dire que s’il y a des ignares, comme partout, il y a aussi des gens très cultivés, qui en savent bien plus sur l’histoire de France que beaucoup de Français dits de souche. A quoi bon présenter un type inculte ? Si ce n’est exprimer une forme de misérabilisme au sujet des banlieues. Oui, il y a plein de gens en difficulté en banlieue, mais quel intérêt de les enfoncer plus bas qu’ils ne sont ?


Pauline Laplace voudrait nous montrer la banlieue sous un jour positif, mais c’est de mon point de vue raté : le film se veut amusant (et il ne l’est pas), il veut donner une image rigolote de la banlieue, avec des jeunes qui s’amusent à monter sur un engin de chantier et qui klaxonnent, et qui perturbent le chantier. Certes, ils ne le cassent pas, mais on n’y croit guère, ne serait-ce que parce que la plupart des chantiers en France sont autrement protégés que celui-ci, et qu’on y pénètre, mais pas aussi facilement que dans le film.


On pourrait croire aussi que c’est un film sur les questions mémorielles, mais non, le sujet est à peine effleuré : les habitants s’interrogent sur cette curieuse initiative de leur mettre une tranchée dans leur parc, mais les discussions sonnent creux, du fait de la médiocrité du scénario. On part encore une fois d’une bonne intention, celle d’affirmer que la commémoration de la première guerre mondiale, si intéressante soit-elle, ne parvient pas à toucher tous les Français, et notamment ces personnes issues de l’immigration nord-africaine qui se sentiraient bien davantage concernées si on abordait la guerre d’Algérie, ou alors des anciens bidonvilles de Nanterre, par exemple, puisque le film se passe dans cette commune des Hauts-de-Seine. C’est sans doute juste, mais la façon de provoquer ces remarques dans la bouche des habitants est assez pitoyable. Il y avait certainement des approches plus pertinentes pour aborder sérieusement la question.


C’est là la faille principale de ce film, un scénario qui nuit aux ambitions de la réalisatrice et qui produit au final une image très artificielle de la banlieue. L’intention est bonne, mais le résultat n’est pas crédible, d’autant plus que les acteurs sont mauvais, ce qu’on ne peut toutefois pas leur reprocher, car ce sont probablement des habitants du quartier, qui ont fait ce qu’ils ont pu avec les propos qu’on a mis dans leurs bouches et qui trop souvent sonnent faux, comme je l’ai déjà dit.


A la fin, les habitants reprennent possession des lieux, un peu comme on regagnait les tranchées perdues, ils le font la nuit et s’expriment par le biais de feux d’artifices sur le lieu où devait voir le jour la future tranchée. Les scénaristes ont dû trouver l’idée géniale…


Bref, on a dans ce film tout ce que je déteste chez certains auteurs qui, inconsciemment j’espère, pensent bien faire en parlant de la banlieue, mais qui au fond expriment une forme de racisme social, et sont incapables de présenter la banlieue autrement que sous une forme misérabiliste, même quand ils essaient de faire le contraire ! C’est quand même ballot !


Si vous voulez voir un court métrage intéressant sur la banlieue, jetez plutôt un œil à celui-ci (si tant est que vous parveniez à le trouver) :
Guy Moquet, de Demis Herenger.

socrate
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le 10 mars 2016

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socrate

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