L'adolescence, c'est un sujet qui me tient à cœur, sûrement parce que j'en sors à peine, mais peut-être aussi parce que je sais que cette période de ma vie ne ressemblera à aucune autre, malgré toute la difficulté qu'elle a pu me donner, balancée entre l'envie de la quitter et un sentiment de nostalgie intense.


Alors au milieu de la masse de teen-movies que nous balancent le cinéma chaque années depuis des décennies, je cherche ces films qui sortent du lot, pour leur capacité à éviter les carcans normatifs et policés du genre. On s'en plaint souvent, de l'idéalisme trop souvent stéréotypé d'un film : parce qu'au fond, pour beaucoup d'entre nous, l'adolescence ressemblait plus à un étrange rêve éveillé qu'à un épisode de Gossip Girl.


Et dans la liste de ces films qui m'ont personnellement bouleversé, se dresse, unique, insondable, fascinant, Larry Clark. Je dois admettre que son cinéma m'avait en premier lieu relativement révulsé : les roulages de pelles intenses et goulus de Kids, avec ses animaux en ruts, m'ont laissé froide. Parce que sa représentation des adolescents me semblait brute, sauvage, et qu'il y manquait ce grain de spleen que je trouve nécessaire. Parce que l'adolescence, c'est avant-tout un bouillonnement d'émotions à fleur de peau.


Mais pourtant je ne pouvais pas me le retirer de la tête, parce qu'on ne peut qu'admettre que son cinéma-vérité a quelque chose d'exceptionnel, et que personne n'a jamais (osé) représenté l'adolescence de cette manière : frontale, impudique, violente. Réaliste. C'est le réalisme cru duquel Larry Clark est un fervent adepte qui fait sa controverse : son observation crue de corps entièrement dénudés, ses fins tragiques, la cruauté de ses personnages, à la fois exécrables et pourtant si réels.


Le cinéma de Larry Clark me semble indispensable, parce qu'on a besoin de ce types d’œuvre dont la capacité à nous confronter à une réalité déplaisante est admirable, et non condamnable. Parce que rarement la représentation de l'adolescence ne m'aura parue aussi véritable. Avec son attitude anti-John Hughes (que j'aime bien, ne pas se méprendre), Larry Clark met des coups de pieds dans le fourmilière, expie ses pires souvenirs et fait du teen-movie de véritables portraits sociétaux sans fioritures.


Il ne fait jamais beau, au pays des adolescents de Larry Clark, même quand l'intrigue se déroule en Floride, comme c'est le cas pour Bully. Bully, ce fut une grosse claque. Du genre qui te laisse sur le carreau, vidée mais inexorablement intriguée : c'est l'histoire d'une bande de jeunes qui trompent l'ennui dans une sexualité débridée, des jeux de pouvoir dangereux, la drogue. Et celle d'un gars qui décide de se venger de son meilleur ami tortionnaire en l'assassinant.


Les valeurs morales sont systématiquement floutées, et les personnages n'ont plus de limites. Ils agissent impulsivement, laissent libre court à leur désir viscéral de destruction, parce que le futur n'est qu'hypothétique, et qu'ils vivent leur vie au présent. Parce qu'ils sont jeunes et se noient inconsciemment dans le mécanisme vicieux des expériences extrêmes, quand l'adrénaline te donne l'illusion d'exister. Vivants, mais morts.


Leurs corps sont ingrats ou tressés, vigoureux, mais leur âme s'éteint, comme leur espoir. Et ils ne leur restent que leur voix pour crier, leurs larmes pour pleurer. Pas de lueur d'espoir, ou si peu, car le seul espoir du film demeure l'élimination cathartique du bourreau. Ce sont deux heures écrasantes de désespoir. Car Larry Clark est un pessimiste, mais il sait, lui, ce que ça fait. Et il ne ment pas.


Sa force, c'est son aptitude à capter ces petits riens si réels, ses dialogues banals mais significatifs d'une ennui latent : ce sentiment de vide existentiel, que tout est vain, mais que rien n'est gratuit. Ce n'est pas l'histoire d'un meurtre, c'est l'histoire d'une bande de jeunes que l'Histoire a laissé sur le carreau, qui ne savent plus quoi faire, descendants d'une optimisme hippie désuet, d'un mouvement punk révolu (fin des 90's, début des années 2000), mais qui crient quand même, du fond de leur cœur : No future.

Lehane
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le 2 mars 2016

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Lehane

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