Edward aux mains d'argent (...et de Tourette)

Eh bah ça fait du bien.
Ça fait du bien de sentir dès le générique d’un film qu’il va y a voir une patte, une atmosphère, un style aisément identifiables.
Dans la musique comme dans les cadres, dans la rythmique comme dans l’utilisation si caractéristique de la voix-off, Edward Norton mobilise tout un imaginaire cinématographique, toute une histoire faite de codes et de références, qui font que ce film s’est tout de suite installé dans mon esprit.
Dès la première minute, j’étais acquis à la cause.
Je n’attendais plus qu’une seule chose : qu’on me dévoile ce qui allait faire le sel de ce « Brooklyn Affairs »…
…ce qui allait lui donner son identité.


Or, de l’identité, ce film en a. Incontestablement.
Au-delà de sa mise en scène méticuleuse et parfois vraiment inspirée, Edward Norton a su construire son New-York à lui. Un New-York des années 50 qui rappelle le Chicago de « Party Girl », mais ce coup-ci en n’oubliant pas le caractère cosmopolite des métropoles américaines. Ainsi les cabarets sont-ils remplacés par des buis-buis de jazz, tout comme certains quartiers aujourd’hui gentrifiés retrouvent dans ce film leurs couleurs d’antan.
C’est une image à la fois familière et singulière qu’on nous propose là. Une image qui sait tirer parti d’un regard contemporain sur une époque révolue, mais sans pour autant travestir l’époque ni tomber dans un sombre moralisme anachronique.
Autant dire que c’est autant de bons points dont ce « Brooklyn Affairs » peut se voir crédité.


Seulement voilà, si ce film peut se vanter d’être élégant, maitrisé et bien mené, il est aussi quelque-peu prisonnier de ses propres intentions.
Car au-delà de son univers, un film est aussi une intrigue, une démarche, un propos.
Or, sur ces points, j’avoue que ce « Brooklyn Affairs » a su se faire efficace sans pour autant être capable de dépasser le simple exercice de style.
Oui, l’intrigue est globalement bien ficelée, sachant ménager quelques bons rebondissements tout en parvenant à entretenir le mystère. Cependant, j’avoue avoir nourri un léger regret de constater qu’au final ce film se concluait sur une résolution tout ce qu’il y a de plus conventionnelle. Une intrigue qui, au fond, n’a pas grand-chose à dire à part, peut-être, le fait que…


…eh bah que les grands capitalistes qui se croient tout permis sans respecter les gens et les institutions, bah c’est quand même pas très gentil quand on y réfléchit bien.


Et puis il y a cet autre souci.
Il y a le personnage de Lionel interprété par Edward Norton.
Pas de problème sur l’interprétation en soi mais…
…le syndrome de Gilles de la Tourette, c’était vraiment nécessaire ?


Alors je me doute que cette caractéristique devait déjà être présente dans l’ouvrage dont ce film s’inspire. Peut-être même que dans le livre d’origine, ce syndrome prend du sens.
Mais là, sur la toile, je ne lui en trouve aucun.
Alors OK, je comprends l’idée qui consiste à égratigner le personnage afin qu’il soit dénigré de la même manière qu’on dénigre dans ce film les gens de peu. Mais autant je peux saisir l’intérêt de malmener Lionel par le verbe quand on lit une œuvre exclusivement constituée de mots, autant j’ai plus de mal à percevoir la pertinence de la chose une fois que celle-ci se retrouve transposée au cinéma.
Lionel qui vrille en permanence, moi ça me perturbe, et je ne vois pas ce que le film y gagne.
Pour le coup j’ai vraiment l’impression qu’Edward Norton a repris l’idée du livre sans oser l’adapter et ça me pose problème.
Et ça me pose d’autant plus problème du fait que ce soit Edward Norton qui l’interprète.


Parce qu’en effet, Edward Norton ce n’est pas n’importe qui.
C’est une gueule et une identité dans le cinéma américain des années 2000, quoi qu’on en pense.
Choisir un acteur pour INCARNER un personnage, ce n’est pas anodin. Ce n’est pas prendre de la matière neutre. Cette matière, elle a déjà été malaxée préalablement par d’autres films. Elle a une charge identitaire dont on peut jouer, dans un sens comme dans l’autre.
Or, dans le cas de Lionel, je pense qu’on a affaire ici à un personnage beaucoup trop singulier pour qu’on puisse se risquer à prendre un acteur trop connu.
Or, moi, quand j’ai vu Lionel à l’écran. Je n’ai vu un personnage qu’il fallait que je découvre. J’ai vu Edward Norton qui était en train de jouer un gars qui avait le syndrome de Gilles de la Tourette. J’ai vraiment eu du mal à passer le cap.
Et ça, pour moi, ce fut un vrai problème.


Mais bon, encore une fois, malgré ça, ce « Brooklyn Affairs » est pétri de bonnes qualités.
A défaut de m’avoir bouleversé, il m’a fait passer un bon moment.
Et franchement, je pense que c’est le genre de film que je pourrais revoir sans souci et avec plaisir.
Donc merci Edward Norton.
Voilà un début de carrière en tant que réalisateur qui a au moins le mérite d’être prometteur…

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le 15 déc. 2019

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