Avant de se lancer dans "Bovines", sauf si l'on veut se ménager la surprise, il faut se dire qu'on va passer 70 minutes devant des vaches. Des vaches et rien d'autre. Des vaches qui mugissent, des vaches qui broutent. Quelques hommes à de rares moments, aussi, mais principalement des vaches, dans leurs champs. Loin de moi l'idée de voir en Emmanuel Gras un génie documentaire sur la seule base de cette œuvre, mais il me semble qu'il serait un peu facile et plutôt hâtif de crier tout de suite à l'arnaque ou à la contemplation à outrance. J'ose le dire, il y a de vrais et forts partis pris esthétiques, thématiques, et même narratifs dans ce "Bovines".


Déjà, on a plus ou moins tous l'impression de connaître l'animal par cœur. Mais beaucoup de détails nous échappent, et "Bovines" propose (à ceux qui veulent bien le recevoir, évidemment) de poser un regard sur plusieurs choses banales, non sans un certain humour propre au cadrage de certains plans et au travail de montage. Il y a quelque chose de profondément étrange, presque surréaliste, qui se dégage de ce plan qui balaye horizontalement un troupeau abrité sous un arbre, dévoilant un à un ses individus. Même chose pour ce plan fixe, cadré sur le vert d'un champ, avec des vaches qui apparaissent sur la partie gauche et envahissent peu à peu l'espace. Le tout est fait avec une vraie malice.


Il n'y a bien sûr pas grand chose dans "Bovines", rien de fondamental, et pourtant cette petite chose documentaire est très bien gérée. Un plan fixe sur une vache, apparemment tranquille... et on réalise qu'elle est en train de mettre bas, l'air de rien. Un autre sur une vache qui essaie d'attraper une branche morte avec sa langue... mais c'est pour mieux secouer l'arbre et récupérer des pommes. Quelques vaches montent dans une remorque... et la mention "vente directe de viande charolaise" qui apparaît une fois la porte fermée fait inopinément surgir un instant tragique. Et à la fin, les veaux qu'on emmène probablement à l'abattoir déclenchent des mugissements aussi puissants que tristes (seul moment d'anthropomorphisme à mon sens) de la part du troupeau qui reste.


En dépit de quelques longueurs et de quelques gros plans en trop, le regard est simple mais décalé et plutôt intelligent, à l'opposé d'un pamphlet purement accusateur sur l'industrie de la viande ou passivement contemplatif. De par son travail de montage, il témoigne d'une acuité documentaire certaine.


[AB #166]

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le 11 déc. 2016

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Morrinson

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