Si j'aurais su, j'aurais pas venu ! Mais j'ai pas su, alors, au monde, j'suis venu quand même. Je les entendais parler de moi, c'était un peu lointain et comme dans un brouhaha, parfois un peu parasité par les gargouillis et les borgorygmes autour de moi, mais j'ai tout entendu et tout compris. « Un enfant, c'est que du bonheur ! » ai-je cru comprendre. J'en ai été ravi. C'est agréable d'être attendu.


A quoi peuvent bien servir les parents ? Pour maman je sais. Je la tète, elle est aux anges, puis elle me dorlote, me câline, me bisoute jusqu'à plus soif. Parfois elle chantonne de sa voix la plus douce pour m'apaiser et pour que je fasse un bon dodo. Pour papa, je suis plus perplexe. Il va et vient, me prend puis me rend ; le biberon avec lui, c'est quelque chose, il faut faire fissa quand c'est le jour, mais l'aider à se tenir éveillé la nuit. J'ai cependant vite compris à quoi cela pouvait servir un papa, bien avant la première dent. Un papa c'est fait pour se faire les dents et, en attendant, pour se faire de la gencive.


La technique est simple. Quand il me met dans mon berceau, je ferme les yeux pour le rassurer ; j'attends patiemment qu'il soit confortablement installé sur le divan devant son émission de télévision préférée ou devant sa table de travail ; j'ouvre un œil, puis l'autre, c'est le moment de donner de la voix, d'abord en sourdine, puis crescendo jusqu'à l'apogée. Si besoin est, léger decrescendo ponctué de quelques trémolos convaincants. Vous devinez la suite. C'est mon moment préféré. Je ne me lasse jamais de l'entendre : « Poutou, poutou, qué qu'y a mon bébé ? » Je commence par sourire, puis je ris franchement : « Lestcontentcontentmonpoutoubébé ». Je n'ai toujours pas compris où il veut en venir, ni pour quelles raisons il me parle comme si j'étais un peu débile.


Mais le bouquet c'est papi et mami et ils font double paire, triple père et triple mère. Quand j'ai vu Papi Raoul pour la première fois avec son visage tout noir, ses yeux tout blancs et ses grandes dents blanches, j'ai cru ma dernière heure venue. Comment peut-on être noir comme cela ? Mami Odile et mami Paula ne sont pas piquées des vers non plus, elles sont très prometteuses pour l'avenir, une fois qu'elles auront compris et surtout accepté que j'ai déjà une maman et que leur doublette est un peu fatigante, même si cela part d'une bonne intention. Papi Roberto est un vrai poème, il est italien d'origine, mais il ne me parle qu'en petit nègre au grand dam de papi Raoul.


« Quèquyamonpoutoubébépotoutou », me répète-t-il chaque fois qu'il me voit, je crois que son vocabulaire petit nègre est un peu limité, mais je sais qu'il fera des progrès rapides s'il s'y tient. Je l'encourage toujours par quelques joyeux « Ahhre, ahhreu », et nous nous comprenons très bien.


Papi Raoul et Pascal Nzonzi, papi Roberto et Gérard Darmon s'ébrouent joyeusement et semblent savoir de quoi ils parlent. Mami Paula et Carole Bouquet, mami Odile et Clémentine Célarié sont très envahissantes mais elles font plaisir à voir quand elles se chamaillent. Une chose est certaine, ses six-là m'aiment et ne veulent pas se passer de moi. C'est très agréable et très rassurant pour moi, alors dès que j'ai fait mon petit rot je peux me rendormir, petits poings fermés.


Boutchou est un film pavé de bonnes intentions que bien des futurs grands-parents se verront recommander par les jeunes mariés bientôt parents. Il est prévisible qu'il fera une brillante seconde carrière quand il sortira en DVD et il est même souhaitable qu'il bénéficie d'une dérogation exceptionnelle pour une sortie rapide par mesure d'utilité publique pour les nourrissons.


Cependant, il faut que Adrien Piquet-Gauthier, le réalisateur, se fasse à l'idée qu'il ne faut pas parsemer de bons mots un film comme on le fait de raisins de Corinthe dans un Kugelhopf alsacien. Ces mots même fameux peuvent contribuer à une ambiance au même titre que la musique, l' éclairage ou le décor. Cependant, quand ils deviennent petite musique qui complète un assemblage de sketchs comme ceux du recrutement de la nounou, ils finissent par faire convenus.


Sens critique exige une notation. Je lui mets un 7, sans regrets malgré ses imperfections, simplement parce que ceux qui ont fait ce film ne se moquent pas de nous, parce que Stefi Celma est charmante et ne manque pas de talent et que Adrien Piquet-Gauthier, dont c'est le premier film, fera mieux la prochaine fois. A ceux qui laissent entendre que je serais circonvenu par les beaux yeux et le délicieux sourire de Stefi Celma, je répondrai simplement que par les temps qui courent et les masques qui nous dissimulent le bas du visage , celui, lumineux, de Stefi est une étoile dans le ciel. A ceux qui me reprochent d'être d'une coupable indulgence pour un film qui ne vaudrait pas tripette, je demande s'ils ont vu Mon cousin de Jan Kounen et combien de jours ils ont mis pour s'en remettre. A ceux qui me soupçonnent d'être d'une honteuse complaisance pour un film qui a du mal à se terminer, je réponds qu'il faut un certain courage pour conclure, sans précipitation, après 1h15 et de l'assumer. A ceux qui envisagent de revenir sur ce qu'ils qualifient de mauvaise foi dans mes dires, je réponds : « Il est l'heure, on ferme ! ».

Freddy-Klein
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le 11 oct. 2020

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Freddy Klein

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